Monseigneur Jean Kockerols, évêque auxiliaire de Malines-Bruxelles (Belgique), m’a fait l’honneur de me rencontrer lors d’un débat public consacré au pape François le jeudi 30 novembre 2017. Conformément à la volonté de Monseigneur, le débat n’a pas été enregistré ; aussi le compte-rendu suivant ne reflète-t-il que mes impressions, dont je corrigerai volontiers la teneur s’il s’avère que je me suis mépris sur ce que je lui ai entendu dire.
La rencontre, organisée par un groupe d’étudiants de l’Université Catholique de Louvain, s’est déroulée à Louvain-la-Neuve, mais non dans un auditoire de l’Université, qui, en raison de ma participation à l’événement, ne l’a pas permis. On appréciera ici le fair-play d’une Institution qui m’a récemment exclu pour mon discours pro-vie (sans que les évêques belges trouvent à y redire) (CE 339/03 du 31 août 2017), et contraint maintenant, dans sa mesquinerie revancharde, les étudiants à payer pour la location d’une salle…
Monseigneur a commencé par une méditation sur l’Église, le rôle du Pape, et le pape François en particulier. Peut-être publiera-t-il son texte quelque part, mais il m’a semblé entendre de sa part des propos surprenants, comme le refus d’une Église qui serait une armée (alors que nous militons sous l’étendard du Christ) ou l’idée que la foi serait une « quête de la vérité » (quand elle est plutôt l’adhésion de l’intelligence à la vérité révélée).
Dans ma propre intervention*, j’ai rappelé le sens et la signification de la « correction filiale » que j’ai co-signée cet été, et qui n’est pas un acte de rébellion, mais une supplique pour qu’enfin le Saint-Père accepte de nous confirmer dans la foi plutôt que de permettre que nous errions, et notamment sur une question aussi importante que celle del’indissolubilité du mariage, avec toutes les conséquences qui en découlent.
Le débat m’a permis de poser franchement la question à Monseigneur, en l’implorant de répondre par oui ou non (car le reste, comme on le sait, vient du mal ou du malin, cf. Mt. 5.37) à cette simple question : est-il permis aux divorcés dits « remariés » d’accéder à la sainte Communion s’ils ne s’engagent pas fermement à cesser de vivre comme mari et femme ? Monseigneur, hélas ! n’a pas souhaité répondre en termes évangéliques – et puisse-t-on me corriger si ma propre insuffisance ne m’a pas permis de saisir la subtilité de ses propos ! Il a cependant donné trois éléments de réponse.
Le premier était de rappeler la foi de l’Église en l’indissolubilité du mariage. Le second, d’insister sur la nécessité d’accompagner miséricordieusement ceux qui se sont engagés dans une relation objectivement adultère (car Monseigneur s’est résolu, malgré sa réticence explicite, à dire le mot), pour qu’ils comprennent qu’ils ne sont pas exclus de l’Église. Jusque là, tout va bien. Mais le troisième élément de réponse est fort préoccupant, car voici ce que Monseigneur a déclaré, pour autant que je l’ai compris : si une personne divorcée vivant maritalement avec quelqu’un qui n’est pas son conjoint décide en conscience, au terme d’un temps de discernement durant lequel elle aura été accompagnée, qu’elle peut s’approcher de la sainte Eucharistie sans renoncer pourtant à cette relation adultère, « qui suis-je », a demandé MonseigneurKockerols, « pour lui refuser la Communion ? »
Qui ? mais un successeur des Apôtres ! alors pourquoi dites-vous encore, Monseigneur, que la Communion n’est pas réservée à ceux-là seuls qui ne sont pas en état objectif de péché grave ? J’ai rappelé, contre cette étonnante doctrine, l’Écriture, la Tradition et l’enseignement encore récent de Jean-Paul II lui-même(e.a. Familiarisconsortio, 84), mais Monseigneur n’a voulu parler que de miséricorde, d’accompagnement et de discernement. Je n’ai pu que protester devant le portrait qu’il traçait d’une Église qui serait soudain devenue sensible à la miséricorde avec le pape François.
L’Église a-t-elle donc attendu, pour se montrer miséricordieuse, que ce dernier lui en révèle la signification authentique près de vingt siècles après la venue de Notre-Seigneur ? Quant au discernement, Monseigneur a ajouté qu’il n’autorisait certes pas la communion aux divorcés-« remariés », mais qu’il ne la leur refusait pas s’ils la réclamaient après avoir mûri cette décision en conscience.
J’ai vivement contesté l’opportunité d’un tel discernement, en partant d’un autre exemple : si quelqu’un, tout en étant de bonne foi, estime après mûre réflexion qu’il lui est permis de blasphémer, faut-il le lui accorder sous prétexte de sa bonne foi ? Il n’y a ici rien à discerner, sinon la malice intrinsèque du blasphème, qu’il faut rejeter absolument, en toutes circonstances, et quelle que soit par ailleurs la bonne foi de celui qui s’estime fondé à blasphémer. Où est la miséricorde, si elle offusque la vérité ? Le Psalmiste nous rappelle que « miséricorde et vérité se rencontrent » (Ps. 84.11), et saint Paul nous exhorte à « pratiquer la vérité dans la charité »(Ep. 4.15).
Faut-il donc des interdits à ce point stricts ? m’a-t-on demandé dans le public. La réponse est oui : d’abord par fidélité à Notre-Seigneur. Ensuite, les balises et les barrières, si on les regardefavorablement, sont structurantes et nécessaires, comme lesont les bordures et garde-fous en montagne, qui n’entravent notre liberté de mouvement que pour nous permettre de parvenir à destination sans tomber dans le précipice.
Enfin, si l’effort demandé paraît excessif, disons qu’il est certes surhumain, mais non pas inhumain, selon l’enseignement traditionnel du Concile de Trente : « Dieu ne commande pas l’impossible ; mais, en nous commandant, il nous avertit de faire ce que nous pouvons, et de demander ce que nous ne pouvons pas faire ; et il nous aide à le faire » (Session 6, chap. 11 ; voir S. Augustin, La nature et la grâce, 43.50).
Voilà pourquoi, s’il est assurément nécessaire, comme le dit le pape François, d’aller vers les « périphéries » et d’entendre les difficultés de tout un chacun, on ne peut pas brader la vérité sous prétexte de conciliation. Quand on objecte à Notre-Seigneur que ses paroles sont dures, met-il de l’eau dans son vin ? Non : voyant que plusieurs disciples s’éloignent, il ne les retient ni ne revient sur ses paroles, mais il demande aux Apôtress’ils veulent partir eux aussi (voir Jn 6, 61 suiv.).
Peut-être ai-je mal compris Monseigneur, mais je ressors du débat avec l’impression que, dans ses propos, il a cherché à promouvoir une gentillesse sincère mais mondaine, qui, parce qu’elle sacrifie la vérité en faisant bon marché de ses exigences strictes, n’est pas la charité évangélique.
Or c’est précisément pour dénoncer cette posture démissionnaire dans le texte d’Amorislætitia(et,à présent, dans l’interprétation apparemment proposée par Monseigneur Kockerols), que j’ai co-signé la « correction filiale » au pape François cet été. Le débat du 30 novembre m’a surtout confirmé dans la conviction que cette correction est un devoir de charité, et que nous devons prier plus que jamais pour qu’enfin nos évêques, à commencer par le Souverain Pontife, daignent nous guider conformément à l’Écriture et à la Tradition plutôt que de cultiver notre perplexité en menaçant de nous égarer. (Stéphane Mercier)