Laissera-t-on légalement mourir de faim et de soif, Vincent Lambert, cet accidenté de la route devenu un symbole autour duquel s’affrontent partisans et adversaires de l’euthanasie passive ? Victime d’un accident de moto en 2008, Vincent Lambert, aujourd’hui âgé de trente-huit ans, tétraplégique, est soigné au CHU de Reims.
Son médecin, le docteur Kariger, au printemps 2013, avec le consentement de l’épouse et d’un neveu de son patient, prend la décision d’arrêter alimentation et hydratation de ce grand handicapé, sous prétexte que celui-ci, en état « pauci-relationnel », sans espoir d’amélioration, ne peut plus espérer retrouver une vie normale, donc digne d’être vécue … Kariger, qui s’affirme catholique, ne juge pas utile d’avertir les parents de Vincent ; c’est au bout de dix-sept jours que ceux-ci apprennent la lente exécution de leur fils et obtiennent d’extrême justesse, après une suspension de soins de trente et un jours, une décision de justice qui arrête le processus.
À l’automne 2013, une commission médicale, réunie à la demande du docteur Kariger, entérine la décision de celui-ci et réclame, contre la volonté des parents de Vincent, qui cherchent à faire transférer leur fils dans un établissement mieux approprié à ses besoins, et plus respectueux de sa vie, un nouvel arrêt des soins. M. et Mme Lambert en appellent de nouveau à la justice.
Curieusement, la presse, jusque-là indifférente, début janvier 2014, se mobilise, donnant complaisamment la parole aux partisans de la mise à mort de Vincent, tournant en ridicule ses parents, « catholiques intégristes » fanatisés. À ce moment-là, sauf miracle, tout semble joué, à la joie des médias qui s’apprêtent à saluer le triomphe « du droit à mourir dans la dignité ».
Or, mi-janvier, l’inespéré se produit : le tribunal administratif donne raison aux parents de Vincent. L’ensemble des juges, réunis pour donner plus de solennité à leur décision et lui conférer valeur jurisprudentielle, entoure l’arrêt de tant de précautions juridiques qu’il semble, en droit, inattaquable et définitif. C’est compter sans les tenants de la culture de mort qui se déchaînent et convainquent épouse, neveu, médecin et hôpital d’interjeter appel devant le Conseil d’État.
Celui-ci venant, dans « l’affaire Dieudonné », de donner des gages au gouvernement, l’on s’attend au pire, si l’on songe au projet de loi socialiste sur « la fin de vie » qui doit être débattu avant la fin de l’année … Or, les juges administratifs, malgré la pression médiatique, se refusent à trancher à chaud, réclamant l’avis d’experts neurologues, et celui de l’Académie de Médecine. Avis fiévreusement attendus par la presse, dont quelques échos « fuitent » début mai, une lecture précipitée laissant supposer qu’il donne raison à Kariger.
Ce n’est pas le cas. Certes, les experts déclarent que Vincent n’a aucune conscience de ce qui l’entoure. Cependant, ils affirment aussi que « le degré d’atteinte de la conscience ne saurait constituer le seul élément déterminant dans la réflexion du Conseil d’État concernant le maintien en vie ou non ». D’autant que, malgré les affirmations de son neveu et sa femme soutenant que Vincent, sans convictions religieuses, avait exprimé, avant son accident, le désir de n’être pas maintenu en vie s’il se trouvait dans une situation médicalement sans issue, l’on n’a aucune preuve de ses souhaits.
En déclarant Vincent Lambert hors d’état d’exprimer une volonté personnelle, les experts coupent court aux prétentions de Kariger qui affirmait sa certitude que son patient « refusait les soins ». Argument très habile puisque, pour l’instant, l’euthanasie ne saurait être qu’un choix « éclairé » du patient, non une décision imposée de l’extérieur.
De son côté, l’Académie de Médecine s’est montrée ferme, condamnant, à mots à peine couverts, l’attitude de Kariger qui avait pris seul la décision de laisser mourir son patient, et son refus de le transférer dans une structure mieux appropriée. Le professeur Denys Pellerin, faisant allusion aux milliers de personnes dans le même état que Vincent, comme lui menacées d’être supprimées parce que « inutiles à la société », précise : « ces personnes, jeunes pour la majorité d’entre elles, désormais en état végétatif chronique ou en état de conscience minimale n’ont pas, a priori, vocation à se voir privées de soins. »
La plus haute autorité médicale française a le courage de conclure : « L’arrêt de vie, en réponse à une demande volontaire de mourir alors que la vie elle-même n’est ni irrémédiablement parvenue à son terme, ni menacée, ne peut être assimilée à un acte médical. […] Il n’est pas dans la mission du médecin de provoquer délibérément la mort. »
Tout sens moral n’a pas encore abandonné médecins et juges français. Reste à savoir ce que le Conseil d’État fera de ces avis. Cependant, l’on peut espérer, après ses revers électoraux cuisants, que le gouvernement ne lancera pas l’offensive euthanasique, faute de moyens. Simple répit, sans doute, mais bon à prendre. (Anne Bernet)