Si l’on reconnaît la décadence d’une société aux sujets qui l’intéressent, le silence accablant qui, dans les médias, a entouré la mort, ce 25 avril 2014, du peintre Philippe Lejeune, est révélateur. Né en novembre 1924 à Montrouge, près de Paris, dans une famille de notables catholiques, Philippe Lejeune a quinze ans lorsque son père, pour mettre les siens à l’abri de bombardements sur la capitale, installe femme et enfants dans leur maison d’Étampes. Il ne quittera plus cette ville ni cette demeure devenue son atelier.
Recalé pour la seconde fois au baccalauréat en 1944, il a la chance de se voir encouragé dans sa vocation artistique par ses parents : « Personne à notre époque ne risque plus de mourir de faim en France. Fais ce que tu veux », lui dit son père quand il l’informe de son désir d’abandonner ses études afin de se consacrer entièrement à la peinture. Élève de Maurice Denis, Lejeune va dès lors consacrer son talent, qui ira en s’affirmant dans tous les domaines, à la peinture religieuse, la seule qui comptait à ses yeux.
Ce choix sera sa grandeur, et son malheur. Si l’on ne peut qu’être bouleversé, comme je le fus moi-même la première fois qu’il me fit l’honneur de me recevoir dans son atelier, à la vue de ses toiles qui tranchent sur la laideur et l’insane médiocrité de la peinture moderne, il saute aux yeux que Lejeune devait déplaire à la critique à la mode. Négligé par la presse, inconnu du public, parfois victime d’une stupidité barbare, comme lorsqu’il découvrit que les fresques qu’il avait réalisées dans les années 50 pour une église, avaient été recouvertes, de façon irréparable, par une municipalité analphabète, Lejeune n’en continua pas moins son œuvre. Il faudrait tout citer d’un catalogue exceptionnel par sa beauté et sa variété : signalons, parmi bien d’autres chefs d’œuvre la Dormition de la Vierge, la Naissance de la Vierge, la Mise au tombeau, la résurrection de la fille de Jaïre, Misereor super turbam, La première pierre, Le danger des richesses, Kepler …
Lejeune, qui ressemblait à un personnage du Greco, s’est parfois lui-même mis en scène sur ses toiles, tour à tour Holopherne endormi dans les bras de Judith, saint Joseph ou saint Jean Chrysostome. Autant d’échos d’une vie marquée par de douloureuses épreuves personnelles, et soutenue par une foi sans faille.
Qu’il soit le frère aîné du professeur Jérôme Lejeune, découvreur de la trisomie 21, défenseur infatigable de la Vie, ne facilita pas sa carrière. Il assuma cet ostracisme avec le discret courage qui était le sien. Lejeune avait tout compris du monde issu de la Révolution, il n’hésitait pas à le dire dans l’émission mensuelle qu’il animait sur Radio Courtoisie au cours de laquelle il déployait une érudition époustouflante et délicieuse. Puisse-t-il contempler désormais dans la Lumière éternelle ces Vérités et ces Splendeurs qu’il ne cessa jamais de défendre. (Anne Bernet)