La nouvelle cathédrale de Créteil, dans le Val de Marne, inaugurée le 20 septembre 2015, vient s’ajouter à la longue liste des monstruosités architecturales de ces dernières décennies.
Ce qui rend encore plus grave ce massacre, c’est le fait qu’il s’agisse d’une architecture sacrée ; c’est à dire d’une expression artistique qui devrait aider l’homme à s’élever vers le Ciel. Or la caractéristique première de ces églises -et d’autres temples de la liturgie postmoderne-, est qu’elles éloignent l’homme de Dieu. Ces églises sont laides avant tout parce que celui qui les conçoit dénature intentionnellement leur fonction de lieu de célébration du culte divin.
Est beau ce qui est vrai ; de la même façon, est vrai ce qui constitue une réalisation achevée de soi-même, ce qui ne trahit pas son but, ni sa nature. Et comme le mentionnait Mario Palmaro, la beauté a un caractère que l’on pourrait désigner comme « normatif » en soi. C’est à dire qui renvoie à la nature humaine, qui ne varie pas, qui existe de tout temps et en tout lieu. Et l’homme étant doté d’une nature rationnelle, -comme l’affirme Saint Thomas d’Aquin-, il en résulte que : « dans les choses humaines, on atteint le beau lorsque quelque chose est ordonné selon la raison » (Summa Theologica, II-IIae, q. 142, a. 2).
Les architectes modernes suivent leurs propres constructions mentales difformes, au lieu de suivre les lois immuables qui règlent l’univers. Et pourtant tout ce qui est produit par l’homme ne porte en soi son degré de perfection et de beauté que dans la mesure où il correspond au but qui lui est propre. Et si Dieu est la fin dernière de toute chose, tout être créé a une fin spécifique qui correspond à sa nature propre et à son essence. La fin est également une « fonction », une activité spécifique qui tend à un but. La beauté d’une œuvre d’art dérive de sa fonctionnalité, c’est à dire de sa capacité à atteindre le but qui lui est propre. Saint Thomas l’explique par un exemple éloquent :
« Tout artiste vise à introduire dans son œuvre la forme la meilleure, non pas dans l’absolu, mais en rapport avec une fin. Et l’artisan ne se soucie pas de ce que cette forme comporte en soi quelque défaut. Ainsi l’artisan qui fait une scie destinée à scier, la fait avec du fer pour qu’elle soit apte à couper, et il ne cherche pas à la faire avec du verre qui est une matière plus belle, car cette beauté empêcherait d’obtenir la fin voulue » (Summa Theologica, I, q. 91, a. 3).
Une scie en verre ne serait pas belle, parce qu’elle serait inutile ; tout comme serait privée de beauté une épée qui ne couperait pas. Une cathédrale est construite pour célébrer le Saint Sacrifice de la Messe et rassembler les fidèles dans l’adoration et la prière. Elle est réussie, c’est à dire qu’elle est une vraie cathédrale, si elle aide les fidèles à prier et à adorer. Si elle ne parvenait pas à cette fin, elle serait laide, comme les églises modernes qui semblent avoir plus une fonction de garages, ou de dépôts, que celle de lieux de prière.
Les quatre cathédrales : de Chartres, Amiens, Orvieto et San Marco, que l’on appelle les « quatre bibles de marbre », sont au contraire, de par leur capacité de reproduire dans la pierre les textes sacrés du Christianisme, un exemple lumineux du lien qui existe entre le moyen et la fin. Ce qui les rend belles est précisément le fait qu’elles ont été conçues pour élever l’homme vers le Ciel et qu’elles ont parfaitement atteint leur but.
Aujourd’hui le nombre des touristes qui visitent les cathédrales de l’Europe est bien supérieur à celui des fidèles qui les fréquentent. Et pourtant ces cathédrales ont été construites pour prier, et non pas pour être admirées en tant qu’œuvres d’art. Leur beauté découle de la vérité qu’elles transmettent, -vérité que du reste bien peu comprennent-. Plutôt que d’encourager la construction d’églises horribles, le devoir de l’Église devrait bien être d’accompagner les visites dans les cathédrales, comme une catéchèse adaptée qui permette, à partir du beau, de remonter jusqu’au vrai.
L’œuvre d’art n’est pas seulement un assemblage de surfaces, de formes et de couleurs, mais bien la « visualisation » d’une pensée. Des hommes et des femmes provenant de toutes sortes de pays et d’horizons idéologiques admirent la beauté des œuvres d’art chrétiennes, oubliant que ces œuvres n’auraient pu être réalisées si elles n’avaient en amont été conçues selon une façon de penser qui n’est autre que la philosophie de l’Evangile. Les cathédrales, les fresques, les objets qui font partie de notre patrimoine culturel s’appuient sur une vision du monde qu’il convient de retrouver, sur un sens qu’il nous faut redécouvrir. De nos jours, aucune évangélisation ne pourrait être plus efficace que celle-là.
La cathédrale de Créteil, tout comme l’église que Massimiliano Fuksas a réalisée à Foligno, et le nouveau sanctuaire de Padre Pio construit par Renzo Piano à San Giovanni Rotondo sont effroyables parce qu’ils renient leur identité de lieux sacrés. Ces édifices sont laids, et même atroces, parce qu’ils ne sont pas fonctionnels, en ce sens qu’ils ne correspondent pas au but pour lequel ils ont été construits. Ceux qui visitent les nouvelles églises, que ce soit de Créteil, de Foligno ou de San Giovanni Rotondo n’en admirent pas la beauté, et n’y discernent pas la vérité ; ils se trouvent au contraire dans un cadre qui va à l’encontre de leur désir de recueillement et d’élévation vers Dieu.
La philosophie de vie qui a inspiré ces constructions est celle d’architectes imprégnés de l’esprit agnostique et relativiste qui a présidé à leur conception. C’est la vision du monde propre à l’Occident nihiliste et opulent, étranger à Dieu, replié dans la coquille de son orgueil, plongé dans le cube de son égoïsme. Dans ces temples néo-païens il n’y a pas de place pour la liturgie millénaire de l’Église, pour les mélodies du chant grégorien ou polyphonique, pour la tendre dévotion des fidèles à la Sainte Vierge et aux saints. Ces temples invitent au contraire à se tourner vers la Kaaba islamique, comme c’est le cas à Foligno, ou encore vers la religiosité maçonnique, comme c’est le cas à San Giovanni Rotondo. Le message de Créteil est tout aussi destructeur : l’impression est celle d’un Disneyland éphémère et illusoire de la Foi.
Les racines chrétiennes de la société sont arrachées chaque fois que l’on construit un temple du modèle de ceux que réalisent les vedettes de l’architecture contemporaine. Les racines chrétiennes sont insérées chaque fois que l’on construit et que l’on aménage des églises en suivant les règles que dicte la raison, la Foi et la Tradition. On défend également les racines chrétiennes en combattant l’art contemporain et en tendant l’oreille au message douloureux que le passé nous transmet à travers les antiques cathédrales défigurées. (Roberto de Mattei)