Quand elle n’aurait eu que ce mérite, l’accession au trône pontifical du cardinal Bergoglio aura au moins remis en lumière la figure du Poverello et inspiré la publication d’ouvrages de qualité.
Frère François entra dans la gloire en la nuit du 4 octobre 1226. Presque aussitôt, Grégoire IX, qui voulait sa canonisation rapide, demanda à l’un de ses disciples, Thomas de Celano, de rédiger une vie du fondateur. Cette première biographie, La vita prima, fut suivie, quelques années plus tard, d’une version abrégée.
Jacques Dalarun, directeur de la collection Sources franciscaines, était persuadé de l’existence d’un texte intermédiaire disparu lorsque l’Ordre, après la publication de la Legenda Major rédigée par saint Bonaventure, avait éradiqué l’œuvre de Thomas de Celano, peu conforme à l’image que les « Conventuels » souhaitaient transmettre du fondateur. Ce texte perdu, un hasard providentiel permit, en 2014, de le retrouver. En voici la première édition française commentée (Jacques Dalarun, La vie retrouvée de François d’Assise, Éditions franciscaines, 2015, 165 pages, 14,90 €).
Certes, savoir à quelles dates, à quel rythme, sur quelles bases, frère Thomas et ses continuateurs élaborèrent « la légende » de saint François, n’intéresse qu’une poignée de spécialistes. Tout comme l’éclairage que le texte peut apporter à la spiritualité franciscaine de pauvreté ou au rapport du saint à la Création, sujet d’actualité. En revanche, découvrir, dans sa fraîcheur poétique, cet inédit qui reprend, parfois en les développant, des aspects déjà connus de la vie de François et le recueil de ses miracles, est une joie de chaque instant.
François meurt en 1226. Soixante-dix ans après, alors que la basilique élevée sur son tombeau heurte déjà, par son faste, ceux de ses disciples, dits « spirituels », désireux de s’en tenir strictement à l’idéal de pauvreté et de dépouillement primitif, le pape Nicolas IV, franciscain, demande, pour mieux exalter la gloire du fondateur, au peintre Jacopo Torriti d’orner le sanctuaire de fresques narrant la vie de l’Assisiate. Très vite, Torriti, vieillissant, abandonnera ce chantier au jeune Giotto. Désormais, l’œuvre du Florentin sera indissociable de la mystique franciscaine. Au point que l’on a pu affirmer que, sans la révolution intellectuelle qu’incarna Francesco di Bernardone, la révolution artistique initiée par Giotto eût été impossible.
Dans un bel album (François d’Assise selon Giotto, Desclée de Brouwer, 2015, 160 pages, 24,90 €), Michel Feuillet, spécialiste reconnu de saint François, croisant les faits historiques rapportés par la Legenda Major et les représentations qu’en donne Giotto, interroge l’héritage de François. L’aspiration radicale à la pauvreté dont ses successeurs se détachèrent était-elle viable ? Comment son regard sur la Création a-t-il changé la façon de voir des générations futures ? De quelle liberté Giotto, commandité par l’Église, a-t-il joui tandis qu’il travaillait pour la basilique d’Assise, le retable du Louvre provenant de l’église San Francesco de Pise, et la chapelle Bardi à Santa Croce de Florence ?
Ceux que ces questions n’intéresseraient pas pourront admirer l’essentiel de l’œuvre franciscaine de Giotto, comprendre en quoi elle changea l’histoire de la peinture, la faisant entrer dans la modernité, et admirer l’extraordinaire humanité de ses portraits, en rupture ouverte avec le traditionnel hiératisme hérité de Byzance.
Mille fois redite, la scène, immortalisée par Giotto, est dans toutes les mémoires : Francesco, accusé par son riche marchand de père d’avoir dilapidé la fortune familiale en la distribuant aux pauvres, assigné à comparaître, en a appelé à l’évêque. Tandis que son père énumère ses griefs, lui, sans un mot, se dévêt et, nu, lui restitue tout ce qu’il tient de lui pour se placer sous la protection de Dieu. Du coup, Pietro Bernardone, qui n’a pas su reconnaître la sainteté de son aîné, sort de sa vie, et de l’histoire.
C’est à cet instant que Michel Sauquet (Le drapier d’Assise, Salvator, 2016, 140 pages, 17,50 €) le cueille. Qu’est-il devenu, ce pauvre Pietro, après ce scandale ? A-t-il compris François ? Se sont-ils réconciliés ? Puisque personne n’en a rien dit, le romancier imagine, avec un incontestable talent, la longue et amère rumination du marchand trop fortuné, indigné de l’ingratitude de l’enfant qui l’a tant déçu … Mais, parce qu’il est impensable que le Poverello n’ait pas obtenu pour son père les grâces de conversion dont il avait besoin, il imagine aussi le chemin spirituel qui changea le cœur de celui trop souvent regardé comme une incarnation du mauvais riche.
Cette façon détournée d’aborder la vie de saint François séduira, parce qu’elle éclaire à quel point la voie franciscaine put paraître choquante. Comme l’évangile où elle trouva sa source. (Anne Bernet)