La recherche d’un rapport équilibré entre la foi et la raison et du rapport spéculaire entre la religion et la science est toujours à l’ordre du jour dans la vision catholique du monde, de la culture et de l’histoire. Mais aujourd’hui, ceci est tout particulièrement vrai et pressant et ce pour deux types de raisons. Tout d’abord parce que la science, ou au moins la science officielle, la science académique et universitaire, est devenue athée, voire même théophobe, c’est-à-dire ennemie déclarée de Dieu et de la foi. Certes, le positivisme et le scientisme de naguère constituaient des visions scientifiques athées mais leurs déviances pseudo-rationalistes contemporaines se placent désormais explicitement dans une position de persécution ouverte vis-à-vis des sceptiques et de ceux qui nourrissent des doutes à l’égard des nouveaux paradigmes indiscutables tels que l’évolutionnisme, le Big Bang, l’égale dignité entre l’homme et l’animal, le caractère infini de l’univers, la relativité d’Einstein, etc. En outre, et ceci est le second aspect du problème, une théologie catholique “scientifique”, sachant jouer le rôle de contrepoids à la science antichrétienne promue et imposée par les démocraties occidentales fait cruellement défaut. Cette carence, qui est nette au moins depuis un siècle, a connu une forte aggravation depuis la fin du Concile Vatican II, au travers de la formation de tendances théologiques soit purement et simplement fidéistes soit hyper scientifiques mais dans le sens d’une acceptation en bloc des paradigmes susmentionnés et de l’idée selon laquelle il existerait un abîme entre la Bible et la science.
Le scientifique Dominique Tassot, excellent connaisseur des choses théologiques et philosophiques et Directeur du trimestriel “Le Cep”, prend pour thème de son dernier ouvrage le rapport entre la Bible et la vérité, que celle-ci soit d’ordre historique, scientifique ou religieuse (La revanche du lièvre… ou De la portée scientifique de l’Ecriture, préface de Mgr Gherardini, Via Romana, Versailles 2013, pp. 175, € 22). C’est-à-dire qu’il reprend la diatribe bien connue autour du concept absolument classique, et pour nous indépassable, d’inerrance de l’Ecriture Sainte, concept qui, s’il a connu des critiques et des ennemis depuis l’époque des Lumières (Buffon, Voltaire, Renan, Loisy, etc. pour n’en citer que quelques-uns), compte aujourd’hui nombre de faux amis à l’intérieur même de la théologie catholique. Cependant l’inerrance – implicitement rejetée par ces mêmes spécialistes catholiques qui se gardent bien d’utiliser ce terme, en réalité très approprié – est parfaitement démontrable au travers d’un syllogisme élémentaire. Dieu ne peut enseigner l’erreur ou se tromper mais l’ensemble de la Bible (dans tous ses passages, descriptions, récits historiques et éléments scientifiques) a Dieu pour auteur. Elle dit donc la vérité en tout ce qu’elle contient – sans rien exclure. La conclusion est simple dès lors que sont admises tant la prémisse majeure que la prémisse mineure, ce que devrait faire tout catholique et même tout chrétien en tant que tel.
Mais la nouvelle théologie, fille légitime du modernisme du début du XXe siècle, a cherché par tous les moyens à déraciner le syllogisme susmentionné et, actuellement encore, ses adeptes recourent à trois techniques pour nier cette inerrance, en sauvant – au moins formellement – le dogme de l’inspiration. Ces techniques sont bien analysées par l’auteur (cf. pp. 57-71) qui les résume dans les trois voies communément utilisées par les spécialistes : tout d’abord, « l’histoire primitive légendaire », qui se distinguerait de la véritable histoire, cette dernière étant alternative et opposée à la Genèse ; le concept « d’apparences historiques », qualifié par l’exégète Lagrange comme « parole libératrice » en exégèse et qui, en réalité, porte à soutenir le faux principe selon lequel « la science vise la réalité; la Bible, quant à elle, s’en tiendrait aux apparences » et, enfin, la « théorie des genres littéraires », théorie juste dans le sens précis dans laquelle elle était conçue par le Vénérable Pape Pie XII dans l’Encyclique Divino Afflante Spiritu (1942), mais qui doit être séparé du « procédé spécieux conçu pour dissocier inspiration d’un côté, et inerrance scientifique et historique de l’autre ».
En d’autres termes, s’il est vrai que l’auteur humain de l’Ecriture Sainte fut un véritable auteur utilisé par Dieu y compris au travers de ses qualités humaines limitées et faillibles, il est également vrai que l’Esprit Saint, co-auteur du Texte, l’a cependant rendu sûr et infaillible dans son œuvre de rédaction et de compilation de telle manière qu’aucun lecteur d’aucune époque ne puisse être trompé dans aucun milieu par le contenu de la Page Sacrée.
Si le père Lagrange, exégète important et innovateur de la première moitié du XXe siècle, malgré son désir d’être au même niveau que les sages de son temps et au-delà des interprétations discutables, demeura dans l’orthodoxie, il n’est pas possible d’en dire autant des actuels exégètes, qui parfois, y compris dans les colonnes de l’ “Osservatore Romano” et de la “Civiltà Cattolica”, font clairement comprendre qu’ils pensent comme ils ne devraient pas le faire à la lumière du Magistère – c’est-à-dire de croire que l’inerrance – et l’inspiration divine elle-même – « ne s’étendrait qu’à ce qui concerne Dieu, les choses morales et religieuses » (Humani generis, cit., p. 37). Mais aujourd’hui, on en est arrivé à l’impiété pure et simple, qui dépasse les négations arbitraires des Loisy, Renan et autres. En effet, l’inspiration elle-même est niée en ce qui concerne les vérités morales et religieuses et si Dieu a déclaré indissoluble le mariage (Mt 19, 6), perversion l’homosexualité (Rm 1, 26-27) et folie l’athéisme (Ps 53, 1), ceci dépendrait de la culture et des préjudices du temps et devrait être réinterprété à la lumière de la pensée moderne, des nouveaux acquis scientifiques ou de l’esprit du Concile Vatican II. (Fabrizio Cannone)