L’histoire de la Révolution française n’a certainement plus de grands secrets, surtout après 1988, année de la parution du Dictionnaire critique de la Révolution française de Mona Ozouf et François Furet. Le mythe, jusqu’alors intouchable, commença à recevoir publiquement les premiers coups qui ont lentement mené à son effondrement. Désormais on connaît toutes les horreurs de cette terrible guerre civile qui embrasa la France et ensuite l’Europe et le monde. Sous le trinôme Liberté, Egalité, Fraternité, les têtes tombaient l’une après l’autre pour le bonheur des révolutionnaires.
Mais ce qu’il arrive encore de découvrir ce sont des mémoires de cette période, écrits par des observateurs d’exception. Ceci est le cas du livre publié par les éditions Jacob-Duvernet sur les souvenirs de Marie Thérèse Charlotte de France: Derniers jours à la prison du Temple. Journal de la fille de Louis XVI et Marie-Antoinette (avec une préface de Louis de Bourbon, Editions Jacob-Duvernet, Paris 2012, 150 pages, 16,90 euros).
Le livre se lit d’une traite et bien que l’on connaisse la fin, à chaque page on partage avec l’auteur du journal, une jeune fille qui n’a qu’onze ans quand la Révolution pénètre comme une furie dans sa vie, l’espoir que quelqu’un ou un évènement puisse changer le cours de l’histoire. Mais il n’en est pas ainsi et Madame Royale sera la seule à survivre à toute sa famille. «Je ne peux rester impassible devant ce qui marqua son existence – écrit Louis de Bourbon dans la Préface (p. 13) – : l’assassinat de son père, puis de sa mère, la mort de son frère – lui aussi martyr –, sa séquestration dans une prison où rien ne lui sera épargné et un exil qui noiera le tout dans un silence profond». Et nous pouvons ajouter la mort de sa chère tante, Madame Elisabeth, à laquelle elle est très liée et qui sera la dernière à la quitter en montant sur l’échafaud le 10 mai 1794.
Depuis octobre 1793 les deux princesses restent seules dans leur chambre au Temple: le roi est exécuté en janvier 1793, le dauphin est isolé du reste de la famille en juillet et elles ne le reverront plus, la reine Marie-Antoinette les quitte aussi définitivement en octobre de cette même année.
Marie Thérèse Charlotte apprend énormément de sa tante qu’elle admire pour sa grande piété et sa force d’âme. L’extraordinaire personnalité de Madame Elisabeth nous est tracée dans un autre livre, tout aussi beau, de Jean de Viguerie (Le sacrifice du soir. Vie et mort de Madame Elisabeth sœur de Louis XVI, Cerf, Paris 2011). L’auteur nous décrit non seulement les faits dramatiques qui marquent sa vie à partir de 1789, mais nous esquisse aussi un portrait moral et spirituel de la jeune princesse. Elle n’a que vingt-cinq ans quand elle doit choisir entre suivre ses tantes en exil ou rester auprès du Roi. Mais elle n’a aucun doute: «Jamais – écrit-elle en ces jours à Madame de Bombelles – je ne serai capable de trahir ni mon devoir, ni ma religion, ni mon sentiment pour les personnes qui le méritent» (p. 85). Elle gardera cette fidélité jusqu’au terme de sa vie quand, sur la charette qui l’emmène à l’échafaud, elle reconforte et encourage ses compagnes (p. 153-156).
Toute la spiritualité de Madame Elisabeth peut se résumer dans cette belle prière qu’elle compose au Temple et qu’elle récite chaque jour: «Que m’arrivera-t-il aujourd’hui, ô mon Dieu, je l’ignore. Tout ce que je sais, c’est qu’il ne m’arrivera rien que vous ne l’ayez prévu de toute éternité. Cela me suffit, ô mon Dieu, pour être tranquille. J’adore vos desseins éternels, je m’y soumets de tout mon cœur. Je veux tout, j’accepte tout, je vous fais un sacrifice de tout et j’unis ce sacrifice à celui de votre cher Fils, mon Sauveur, vous demandant, par son Sacré-Cœur et par ses mérites infinis, la patience dans nos maux et la parfaite soumission qui vous est due pour tout ce que vous voudrez et permettrez».
Marie Thérèse Charlotte n’apprendra que le jour de sa libération, le 17 décembre 1795, que toutes les personnes qui lui sont chères ne sont plus là. Au cours de la dernière année, seule au Temple, elle a aussi suivi de sa chambre sans pouvoir rien faire, la lente agonie de son petit frère qui meurt le 8 juin 1795 à l’âge de dix ans.
Madame Royale, la dernière qui portera ce titre dans l’histoire de France, vient d’avoir dix-sept ans quand l’Autriche obtient sa libération en échange de Français capturés par l’armée autrichienne. Mais elle sera toujours très critique envers la patrie de sa mère. Elle écrit dans son Journal: «Nous (elle et Madame Elisabeth, ndr) ne pouvions pas aussi imaginer l’indigne conduite de l’Empereur qui laissa la Reine sa parente périr sur l’échafaud sans faire des démarches pour la sauver. C’est pourtant ce qui est arrivé; mais nous ne pouvions pas croire ce dernier trait d’indignité de la Maison d’Autriche» (p. 124).
La Princesse refusera avec fermeté le mariage avec son cousin germain, le frère de l’Empereur François II, et choisit un autre cousin mais du côté français: Louis-Antoine d’Artois, duc d’Angoulême, fils aîné du futur Charles X. Elle ne rentrera en France qu’en 1814, à la Restauration, pour la quitter définitivement en 1830. Marie Thérèse Charlotte de France meurt en exil en 1851 et, aux côtés des derniers Bourbons, elle sera enterrée en Italie, dans la ville de Gorizia. (M. d. S.)