Aujourd’hui enchâssée dans l’austère décor du Palais de Justice de Paris, la Sainte Chapelle, chef d’œuvre miniature de l’architecture gothique, consacrée en 1248, fut voulue par saint Louis pour être le reliquaire inestimable de la sainte couronne d’épines.
Mis en gages par Baudouin II de Constantinople, promis aux Vénitiens que l’empire d’Orient ne pouvait rembourser, le diadème de dérision qui couronna l’Homme de douleurs le Vendredi Saint, d’une authenticité incontestable, ne devait pas être l’objet de tractations financières relevant de la simonie. Le roi de France le désengagea à prix d’or, en même temps que diverses autres reliques, plus douteuses, que la Tradition rattachait, à tort ou à raison, à la Passion. Puis il le fit, en l’entourant de tous les honneurs possibles, porter à Paris.
Lorsque le cortège escortant la sainte couronne atteignit Sens, le 10 août 1239, Louis IX, venu au devant de lui, tint, avec l’aide de ses trois frères, pieds nus et en chemise, à porter lui-même la châsse jusqu’à la cathédrale. Il réitéra ce geste de dévotion quelques jours plus tard, lors du transfert de la relique à Paris. Puis il fit édifier, au cœur de son palais, donc au cœur de son royaume, cette Sainte Chapelle qui l’abrita jusqu’en 1791.
L’intention royale, au-delà de l’immense dévotion personnelle du saint roi envers la Passion de Notre Seigneur, était de placer sa couronne, laquelle contenait déjà, depuis les origines de la dynastie, l’une des saintes épines incrustée en son centre, sous la domination du Roi des cieux. Sicut lilia inter spinas, « tels les lis au milieu des épines », tel devait être à l’avenir le programme politique de la monarchie française.
Louis IX n’ignorait pas que son geste le faisait, ainsi que les siens, plus intimement participant des souffrances du Christ. Comme il n’est pas de coïncidence dans l’ordre de la Providence, l’on peut s’interroger sur le fait que la chute de Louis XVI, lors de la prise des Tuileries, ait eu lieu le 10 août 1792, date anniversaire de la translation de la relique. Le martyre du « fils de saint Louis », le 21 janvier suivant, et celui de sa famille, s’inscrivent ainsi dans une dimension mystique pleine de promesses, incompréhensible tant au pouvoir révolutionnaire qu’à ses continuateurs.
Jacques Charles-Gaffiot, en publiant (Le Cerf, 150 p., 12 €), Une passion française, la couronne d’épines, retrace avec profondeur et méticulosité les destinées de la relique.
Sauvée des profanations de la Terreur, remise par Napoléon à l’archevêché de Paris, la couronne d’épines, en fait une calotte, conformément à ce l’on sait aujourd’hui du déroulement historique des événements de la Passion, fut alors découpée afin de la faire entrer dans un nouveau reliquaire et déposée dans le trésor de la cathédrale Notre-Dame.
Tressé de jonc et de branches épineuses de jujubier, l’instrument de supplice, un temps dédaigné, fait, depuis quelques années, chaque vendredi, l’objet d’une vénération renouvelée de la part du clergé parisien et des fidèles.
En ce huitième centenaire, trop peu célébré, de la naissance de saint Louis, tandis que la France officielle semble s’enfoncer toujours davantage dans son apostasie post-révolutionnaire, s’interroger, à la suite de Jacques Charles-Gaffiot, sur les véritables origines du pouvoir, le rôle et les devoirs de ceux qui l’exercent, est une nécessité.
La leçon, au-delà des apparences sensibles, est pleine d’espérance. (Anne Bernet)