La crise que traverse actuellement l’Occident n’est pas seulement économique et financière mais, sociale, politique, culturelle et spirituelle. Y porter remède exige de retrouver le sens de la hiérarchie des priorités. Le spirituel d’abord, le culturel ensuite, le politique puis, enfin, l’économique. Ainsi, après avoir rendu à Dieu ce qui lui revient, c’est-à-dire la première place, il faut s’occuper des intelligences, de leur formation et leur enrichissement par le savoir, de la transmission de notre trésor civilisationnel.
Depuis les années 1960, ces intelligences sont abîmées par des expériences pédagogiques qui les privent des outils nécessaires à leur épanouissement, de la culture classique, des règles orthographiques et grammaticales, des outils logiques indispensables à un raisonnement juste.
Le Professeur Jean de Viguerie vient de consacrer à un ouvrage aux sources intellectuelles de ces expériences : Les Pédagogues, essai historique sur l’utopie pédagogique (Le Cerf, Paris 2011). Les questions de l’éducation, de la formation de l’intelligence et de la transmission du savoir sont au cœur de l’œuvre universitaire de Jean de Viguerie. Sa thèse de doctorat d’histoire ne portait-elle pas sur Une œuvre d’éducation sous l’Ancien Régime : les Pères de la Doctrine chrétienne en France et en Italie (1592-1792) ?
Dans cet essai sur Les Pédagogues, Jean de Viguerie étudie les penseurs qui, depuis la fin du Moyen-âge, se sont intéressés à la pédagogie, diffusant des conceptions qui prennent l’exact contre-pied de la pédagogie chrétienne, décrite par l’auteur dans L’Eglise et l’éducation (D.M.M., 2010). Quatorze penseurs ont retenu son attention : Erasme, Comenius, Nicole, Lamy, Locke, Rousseau, Condorcet, Considérant et les théories de la pédagogie nouvelle : Dewey, Claparède, Ferrière, Freinet et Piaget, dont la pensée est prolongée de nos jours par Philippe Meirieu. Ces quatorze penseurs sont davantage des théoriciens que des praticiens de l’éducation.
La plupart n’ont d’ailleurs aucune expérience concrète de celle-ci. En revanche, ces théoriciens de la pédagogie sont souvent des théoriciens politiques, à l’instar de Comenius, de Locke, de Rousseau, de Condorcet et de Considérant. Leur souci n’est pas de transmettre des connaissances mais de donner naissance à un homme nouveau. En France, le décret du 14 juillet 1989 assigne à l’école pour mission de former des citoyens, reprenant ainsi l’objectif que se fixaient, sous la Terreur, les conventionnels, notamment Condorcet, Saint-Just et Chénier : « Quel est notre devoir en organisant l’instruction ? C’est de former des républicains », déclare ce dernier à la tribune de la Convention. L’école devient dès lors un instrument politique.
Tous ces pédagogues sont nourris par la philosophie nominaliste et par une anthropologie matérialisante et, souvent, sensationniste. A leurs yeux, l’enfant doit être façonné par l’école. Dans Emile, Rousseau confie au maître le soin de forger son élève en le manipulant : « Prenez une route opposée avec votre élève ; qu’il croie toujours être le maître, et que ce soit toujours vous qui le soyez. Il n’y a point d’assujettissement si parfait que celui qui garde l’apparence de la liberté ; on captive ainsi la volonté même […] Sans doute il ne doit faire que ce qu’il veut ; mais il ne doit vouloir que ce que vous voulez qu’il fasse ; il ne doit pas faire un pas que vous ne l’ayez prévu ; il ne doit pas ouvrir la bouche que vous ne sachiez ce qu’il va dire ». L’école ne doit transmettre à l’élève que des connaissances utiles. Le savoir, en lui-même, est déprécié, en particulier le savoir littéraire.
Pour Rousseau, le savoir est une chose dangereuse. Pour les nouveaux pédagogues, le savoir ne peut qu’accentuer les inégalités. Avec les nouveaux pédagogues surgit l’idée que l’enfant doit participer à son éducation en découvrant en lui les connaissances. C’est là l’un des nombreux fruits du subjectivisme et du relativisme dont Benoît XVI dénonce patiemment les méfaits. L’autorité du maître s’en trouve annihilée. D’ailleurs le maître n’est plus qu’un enseignant, ce que déplora naguère Pie XII : « Certains pensent que le mot ‘enseignant’ dit plus que le simple mot de ‘maître’, et ils seraient enclins à substituer le second au premier. Mais le ‘maître’ est le plus haut titre que l’on puisse donner à un enseignant. Le maître est celui qui s’engage personnellement à diriger vers la vérité et vers le bien l’âme de son élève ».
Il s’agir d’un ouvrage concis et clair, précieux, indispensable pour tous ceux qui se soucient de l’éducation des enfants. Les Pédagogues permet de dresser le diagnostic du mal qui paralyse les intelligences des jeunes générations, mal dont Jean de Viguerie a, par avance, proposé le remède dans L’Eglise et l’éducation. (P.P.B.)