Créon, roi de Thèbes, a refusé des funérailles à son défunt neveu Polynice qui s’est révolté contre la cité et promis le châtiment suprême à quiconque lui donnerait une sépulture. Seule Antigone, la sœur du jeune mort, ose s’insurger contre cette décision indigne : « je ne croyais pas, certes, que tes édits eussent tant de pouvoir qu’ils permissent à un mortel de violer les lois divines ; lois non écrites, celles-là, mais intangibles. Ce n’est pas d’aujourd’hui ni d’hier, c’est depuis l’origine qu’elles sont en vigueur et nul ne les a vues naître ».
C’est au nom de ces lois qui dépassent les législations humaines que la princesse ira au supplice. Est-il meilleur exemple que la tragédie de Sophocle de ce qu’est le droit naturel, qui, de toute éternité et dans toutes les civilisations, s’est spontanément imposé aux hommes comme le fondement même de la société ?
Jusqu’à une époque récente, en dépit de toutes les altérations et remises en cause que ces principes fondamentaux avaient pu subir au cours du temps, les oublier totalement et les tenir pour lettre morte semblait inimaginable. C’est pourtant ce à quoi nous assistons de nos jours, lorsque des lois « sociétales » répondant à des modes ou aux exigences de groupes de pression mettent à mal des vérités aussi essentielles que la nature du mariage ou le respect de la vie humaine.
Dès lors, non seulement la loi naturelle n’est plus composante essentielle du droit tel que l’humanité l’avait toujours conçu, mais, abusivement considérée comme une émanation du christianisme, elle est, à ce titre, exclue de la pensée et de la volonté du législateur … Avec toutes les conséquences que l’on sait.
Le professeur Philippe Pichot-Bravard, spécialiste éminent de l’histoire du droit public et de l’histoire des idées politiques, a beaucoup réfléchi au phénomène et à sa gravité. Il a constaté, aussi, combien la notion même de droit naturel était devenue étrangère à ses étudiants, comme à ses collègues des générations précédentes car il est vrai que toute allusion à la chose a disparu du cursus universitaire dès les années 80.
Pourtant, aucune restauration de l’ordre social n’est envisageable sans un retour à ce qui fut la base de toutes nos sociétés.Encore faut-il commencer par expliquer au public, et plus spécialement aux jeunes, de façon simple et rapide, ce qu’est le droit naturel.
Autant le dire, exposer un pareil sujet, en retracer l’histoire, en analyser les fondements philosophiques et religieux, en montrer les altérations et les interprétations, dire comment et pourquoi la destruction de ces lois non écrites, sinon dans l’âme des hommes, est devenu un enjeu et une nécessité révolutionnaires, tout cela en quelques dizaines de pages, est une gageure, y parvenir un véritable exploit.Philippe Pichot-Bravard l’a fait, brillamment, comme toujours, au demeurant, car il est l’une des plus remarquables intelligences de la pensée catholique actuelle. Le droit naturel. Fonder l’ordre juste. Histoire, actualité, enjeux (Ichtus, 172 pages, 13 €. À commander à Ichtus, 49, rue des Renaudes, 75017 Paris, ou par Internet à contact@icthus.fr) est un petit livre porteur de grands enseignements.
Enseignant doué, le professeur Pichot-Bravard sait mettre ses très profondes connaissances, ses lectures, ses réflexions, à la portée de tous, de sorte qu’il n’ennuie pas une seconde et qu’on le suit avec un vif intérêt tandis que, après avoir mis en évidence la conformité du droit naturel avec la nature humaine, loué Aristote et saint Thomas d’Aquin, il en vient à raconter le long affrontement, venu au commencement de penseurs chrétiens, tels Duns Scot, Occam ou Suarez, entre cette interprétation de la loi, fondée sur la justice et la recherche du bien commun, et celle, née du nominalisme, qui s’imposa en tant qu’émanation de la volonté du Prince, de ses législateurs ou de la volonté populaire.
A compter du XVIIIe siècle, l’abandon progressif du droit naturel participe du grand combat contre Dieu et les systèmes monarchiques.
Ce sont des chapitres qu’il faut spécialement conseiller à ceux qui n’auraient pas encore bien compris sur quoi repose notre ordre politique actuel et quels buts il continue de poursuivre. Comprendre les vrais enjeux et le vrai sens des mots tels que les législateurs s’en servent permet de mesurer combien nos libertés et nos droits les plus fondamentaux s’en sont trouvés réduits, et menacent de l’être bien davantage encore à l’avenir.
Sauf à en revenir à ces principes d’où découlait jadis une certaine idée de l’homme et de son vrai bonheur, conforme aux vues divines sur lui.
L’un des grands mérites de ce livre courageux et brillant est d’indiquer, clairement, comment s’y prendre et ce qu’il faudrait faire.Dieu aidant, cela parait si simple ! (Anne Bernet)