Possibilités papales, Anno Domini 2022

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L’interprétation – parfois erronée – des gestes des papes est un passe-temps (généralement) inoffensif pour de nombreux catholiques. On peut supposer que le Saint-Esprit est présent de manière invisible et imprévisible dans le choix de ceux qu’il autorise à devenir les successeurs de saint Pierre. Mais ce joker spirituel ne freine pas la spéculation. Le dernier épisode en date du drame papiste, est l’annonce faite samedi (4 juin) par le Vatican que le pape François, malgré des problèmes de santé et de mobilité, se rendra à L’Aquila, en Italie, le 28 août pour célébrer la fête du pardon, créée en 1294 par le pape Célestin V.

Il est possible que vous ayez besoin d’un petit rappel de l’histoire papale pour comprendre ce que cela peut signifier. (S’il vous plaît, soyez indulgent avec moi; la pertinence deviendra bientôt claire). Célestin V a été le dernier pape – avant Benoît XVI – à abdiquer. Pour de bonnes raisons. C’était un moine et un ermite plongé dans les turbulences de la politique ecclésiastique du XIIIe siècle – et totalement inadapté à la fonction. C’était une sorte de mesure désespérée; peut-être qu’un homme manifestement saint pourrait unir les différentes factions en guerre, qui étaient dans l’impasse et avaient laissé l’Église sans pape pendant plus de deux ans (l’interrègne de 1292-94).

Il ne pouvait pas le faire et savait qu’il ne le pouvait pas. Il voulait retourner au monastère. Son successeur, Boniface VIII, ne le permet pas et le fait emprisonner, au cas où ses partisans auraient l’idée de le faire revenir comme antipape. Après diverses escapades – Célestin s’est échappé à un moment donné et s’est caché dans les bois, il a essayé d’embarquer sur un bateau pour la côte dalmate, etc. – il s’habitue à la vie carcérale et meurt dix mois plus tard (les rumeurs de mauvais traitements ou même d’empoisonnement n’ont jamais été confirmées).

Dante fait brièvement référence à lui – les spécialistes ne sont pas d’accord sur ce point comme sur presque tout. Mais la plupart pensent que Dante fait référence au pape Célestin dans un vers célèbre sur une âme dans les limbes Che fece per viltade il grand rifiuto (Qui fit par lâcheté le grand refus). Il s’agissait non seulement d’un acte de nullité spirituelle, aux yeux de Dante, mais aussi l’acte qui permit l’ascension de sa bête noire, Boniface VIII, à qui il prédisait régulièrement une place au plus profond de l’enfer.

Dernier coup de théâtre, Célestin a apporté quelques réformes utiles au mode d’élection des papes et a été canonisé en 1313 par le pape Clément V.

Pour en revenir à notre époque troublée, les observateurs de la papauté considèrent depuis longtemps les sites associés à Célestin comme des lieux où les papes peuvent donner des “signaux”. Paul VI s’est rendu sur son lieu de décès (Ferentino) en 1966, suscitant des rumeurs selon lesquelles il était sur le point de démissionner.

Benoît XVI (aujourd’hui célèbre) s’est rendu sur sa tombe à L’Aquila en 2009 et y a laissé son pallium papal, pour des raisons qui, même après son abdication, ne sont pas encore tout à fait claires.

Et maintenant, le pape François sera là, ostensiblement pour la fête du pardon. Mais il s’y rendra le 28 août, une date étrange, car il vient d’annoncer la nomination de 21 nouveaux cardinaux, qui seront élevés au rang de cardinaux le 27 août – une date elle-même étrange car elle se situe dans plusieurs mois et que toute l’Italie est pratiquement en vacances en août

Plus étrange encore, les deux jours qui suivent l’élévation des nouveaux cardinaux, il y aura un consistoire consacré à la discussion, avec le Pape, de Predicate Evangelium, sa réforme de la Curie romaine.

Pourquoi choisir de quitter Rome pour L’Aquila en plein milieu de tout cela ?

Les consistoires sont aussi typiquement un moment où les cardinaux du monde entier se réunissent à Rome pour discuter, apprendre à se connaître et commencer à réfléchir à qui parmi eux pourrait être un bon candidat pour le prochain pape.

L’une des bizarreries de cette étrange papauté est que François n’a pas convoqué les cardinaux à Rome pour un consistoire depuis des années – les critiques disent que les cardinaux pourraient lui dire des choses qu’il ne veut pas entendre. C’est aussi étrange parce que François a souvent répété son désir d’une Église “synodale” dans laquelle les évêques, en tant que dirigeants, et les catholiques du monde entier peuvent “marcher ensemble”. Cela n’a pas inclus la marche traditionnelle des cardinaux.

Les choix récents ont fait l’objet d’une grande attention. Ici, en Amérique, l’évêque de San Diego, Robert McElroy, a fait l’objet d’un examen minutieux, à juste titre. C’est un fidèle de François qui s’est mis en conflit à plusieurs reprises avec ses collègues américains de la Conférence épiscopale américaine

En 2015, par exemple, il avait tenté d’atténuer une déclaration préélectorale “Citoyenneté fidèle” des évêques qui continuait à mettre l’accent sur l’avortement comme préoccupation morale centrale. Les évêques américains, selon McElroy, ignoraient le point de vue du pape François selon lequel le climat, les réfugiés, la pauvreté étaient des thèmes tout aussi importants. Le cardinal DiNardo de Houston, alors président de la Conférence, avait vivement rejeté cette affirmation.

En 2019, dans une situation pareille, l’archevêque de Philadelphie Charles Chaput s’était levé pour dire que son exposition de ce que les participants à la conférence faisaient était tout simplement “fausse”. Un certain nombre d’évêques présents dans la salle avaient spontanément applaudi Chaput.

François vient de révoquer l’évêque d’Arecibo, à Porto Rico, en raison de ses “divergences” avec ses collègues évêques. Cette norme ne s’applique clairement pas à McElroy.

McElroy a également, de manière notoire, essayé de ralentir les enquêtes du Vatican sur Theodore McCarrick. En effet, il est curieux que tous les cardinaux américains de François aient eu des liens avec McCarrick – Cupich, Tobin, Gregory, Farell, et maintenant McElroy.

Cela, plus leur distance par rapport à l’orientation plus traditionnelle des évêques américains, qui sont encore en grande partie des personnes nommées par Jean-Paul II et Benoît XVI, indique que François souhaite incontestablement modifier la composition de l’épiscopat aux États-Unis. Il reste à voir s’il y parviendra. Mais la dynamique au sein de la conférence épiscopale ne semble pas y être favorable.

Et au niveau mondial, les nominations cardinalices de François créent un contre-courant. Il peut sembler que le fait de nommer des cardinaux dans les “périphéries” – Timor oriental, Inde, voire Mongolie – et non dans les lieux traditionnels comme Los Angeles, Paris, Milan et (cette fois-ci) l’Ukraine – rendra l’Église plus “diverse”, dans une direction libérale. 

Mais il est difficile de croire que les cardinaux des “périphéries” s’enflammeront pour les programmes européens et américains favorables à l’arc-en-ciel, orientés vers l’ordination des femmes, méfiants à l’égard de la tradition et progressistes et internationalistes.

La résistance des périphéries pourrait être une conséquence (involontaire) des nominations de François. Nous devrons attendre et voir. (Robert Royal, in The Catholic Thing, 6 juin 2022)

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