Dans sa Somme Théologique, saint Thomas affirme que la « loi naturelle » est « la participation de la loi éternelle dans la créature raisonnable ». D’après Thomas d’Aquin, grâce à une disposition innée – la “syndérèse”, l’homme a la «connaissance habituelle» des principes premiers de la loi naturelle, inscrits par Dieu dans son âme. Dans cette perspective, défendre la loi naturelle, -qui n’est pas autre chose que la participation de la loi éternelle dans la créature raisonnable-, revient en quelque sorte à défendre des droits de Dieu, et en fin de compte, de défendre Dieu lui-même.
A partir de là, on peut comprendre la gravité des péchés commis contre la loi naturelle, ce qui explique aussi pourquoi l’Église compte parmi ses martyrs non seulement ceux qui ont versé leur sang pour la défense de la Foi, mais aussi pour la Loi divine (par exemple, Saint Jean-Baptiste, Saint Thomas More, Saint John Fisher qui ont défendu l’indissolubilité du mariage) et pour la loi naturelle. Deux saints que l’Église vient de commémorer (le 5 et le 7 mai) portent cette auréole glorieuse : Saint Ange de Jérusalem et Saint Stanislas, évêque de Cracovie.
Saint Ange est né à Jérusalem en 1185 de parents juifs convertis au christianisme. À 18 ans, il est entré chez les Carmélites et a vécu dans le couvent du mont Carmel, menant une vie d’ascétisme rigoureux, dans le jeûne, la prière et la pénitence. Ordonné prêtre à 25 ans, il commença tôt à prêcher et à imiter, en accomplissant ses premiers miracles, la puissance thaumaturge de ses pères Elie et Elisée. En 1214 Albert de Jérusalem composa une nouvelle règle pour l’Ordre des Carmélites et, quatre ans plus tard, en 1218, Ange reçut la mission de se rendre à Rome pour présenter la nouvelle règle à l’approbation du pape Honorius III.
A Rome, Ange rencontra saint Dominique Guzman et saint François d’Assise, qui lui prophétisa son martyre. Après un bref séjour dans la Ville Eternelle, Ange fut envoyé en Sicile, où il prêcha dans plusieurs villages. Puis il arriva à Licata. C’est là qu’au cours de ses prédications, il fit la connaissance de Berengario La Pulcella, un petit seigneur du lieu, d’origine normande, qui outre qu’il était un Cathare obstiné, vivait depuis douze ans, au grand scandale de son peuple une relation d’inceste avec sa sœur Margherita dont il avait eu trois enfants. Ange tenta à plusieurs reprises de ramener paternellement Berengario sur la bonne voie, mais en vain.
Pourtant, par ses sermons sur le péché il parvint au moins à amener la femme à se repentir et à faire une pénitence publique. Margherita cria son repentir devant le saint prédicateur et la foule des personnes présentes dans l’église. C’est à partir de ce moment que Berengario, enflammé d’une fureur sans bornes, ourdit sa vengeance. Un jour, alors qu’Ange prêchait au peuple, Berengario, passant à travers la foule, monta en chaire, et le poignarda de cinq coups mortels sous le regard pétrifié des ceux qui assistaient à la scène. C’était le 5 mai 1220. Avant de mourir, Ange demanda à Dieu et aux fidèles de Licata de pardonner à son assassin. Berengario mit fin à ses crimes et à sa vie misérable en se pendant dans sa propre maison. L’Ordre du Carmel vénère saint Ange depuis au moins l’an 1456, et le pape Pie II en a approuvé le culte. Dans les œuvres d’art, le martyr est représenté avec la palme du martyre dans la main, trois couronnes (la virginité, la prédication, le martyre) et avec une épée qui lui transperce la poitrine, signe de son martyre. Sa fête est célébrée le 5 mai.
Saint-Stanislas, est né en Pologne en 1030 de parents pieux et dévots. Il se distingua dès l’enfance par ses vertus. Ordonné prêtre et fait chanoine de la cathédrale, il fut le modèle du chapitre de par l’intensité de sa vie ascétique et la lumière de ses conseils. Après la mort de l’évêque Lambert, Stanislas fut élu comme son successeur. A cette époque en Pologne régnait le roi Boleslav II, un homme aux moeurs tout à fait dissolues. Mais personne n’osait les lui reprocher. Seul Stanislas tentait de l’amener à changer de vie et Boleslav II, au début, sembla donner des signes de repentance. Mais les bonnes résolutions du roi ne durèrent guère longtemps.
Un jour, Boleslav, dans la province de Sieradz, fit kidnapper de force Cristina, célèbre pour sa beauté, qui était la femme du seigneur Mstislaw. Cet acte tyrannique et immoral provoqua l’indignation de toute la Pologne. Le primat du royaume et les autres évêques, qui auraient dû intervenir, ne voulant pas déplaire à leur souverain, gardèrent misérablement le silence. Seul Stanislas eut la fermeté d’affronter le roi, menaçant de le frapper de la censure ecclésiastique, s’il ne mettait un terme à sa vie dissolue. Devant cette menace d’excommunication, Boleslav l’injuria honteusement, en disant: « Quand on ose parler avec si peu de respect à un monarque, on devrait être porcher, et non pas évêque ». Le Saint, sans broncher, lui répondit: « Ne faites pas de comparaison entre la dignité royale et la dignité épiscopale, parce que la première est à la seconde ce que la lune est au soleil, ou le plomb à l’or ».
Boleslav II résolut de se venger en recourant à la calomnie ; et au cours d’une assemblée générale, il accusa le Saint de posséder illicitement un terrain, que lui, au contraire avait acheté légalement, sans toutefois pouvoir le prouver par des documents. Attendu que les vrais témoins restaient silencieux, craignant de dire la vérité, Stanislas promit de convoquer devant le tribunal dans les trois jours Piotr, le vendeur du terrain, mort depuis trois ans. La proposition fut accueillie par des rires tonitruants et de vils sarcasmes. Mais au bout de trois jours, passés dans la prière et le jeûne, Stanislas se rendit à l’endroit où Piotr avait été enterré, fit ouvrir le tombeau et, touchant la dépouille avec sa crosse, lui ordonna de se lever « au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. »
Le défunt obéit, et le Saint le conduisit avec lui au tribunal où le roi attendait. « Voici – dit aux juges Stanislas, en entrant avec Piotr dans la salle – celui qui m’a vendu la terre de Piotrawin; il est ressuscité pour témoigner devant vous. Demandez-lui s’il n’est pas vrai que j’ai payé le prix de cette terre. Vous le connaissez, et sa tombe est ouverte ». Les personnes présentes étaient sans voix. Le Ressuscité déclara sans hésitation que le saint évêque lui avait payé la terre devant les deux témoins qui, quelques jours plus tôt, avait omis de dire la vérité. Puis il retourna à sa tombe, non sans avoir demandé à Saint Stanislas de prier le Seigneur raccourci afin qu’Il abrège ses peines de Purgatoire.
Ce miracle étonnant sembla frapper au cœur Boleslas II qui pendant un moment sembla modérer ses débauches. Mais ce ne fut qu’un bref répit, suivi d’un désordre encore pire, car il finit par se laisser aller même jusqu’aux abominations de la sodomie. Stanislas, pendant ce temps, continuait à supplier le Ciel pour obtenir la conversion du roi. Mais rien n’y fit : le souverain continua à l’insulter et à le menacer de mort s’il continuait à critiquer sa conduite. Alors Stanislas, après avoir demandé l’avis d’autres évêques, et voulant réparer la très grave infraction contre Dieu, excommunia publiquement Boleslav II et lui interdit d’entrer dans l’église.
Le roi, alors, décida de se venger et ordonna à ses gardes de tuer Stanislas. Ils obéirent, mais comme ils étaient sur le point de porter la main sur le saint qui était en train de célébrer la messe, ils furent précipités à terre par une force mystérieuse. Le roi s’approcha alors en personne de Stanislas et, tirant son épée du fourreau, lui fracassa la tête avec une telle force que le cerveau du saint jaillit contre le mur. C’était le 11 avril 1079. Toujours pas satisfait, le roi coupa le nez et les lèvres du martyr, puis il donna l’ordre que le cadavre soit traîné hors de l’église, découpé en morceaux et dispersé dans les champs pour servir de nourriture aux oiseaux et aux bêtes sauvages. Or ils se trouvèrent des prêtres et de pieux fidèles pour rassembler les membres épars, qui brillaient d’un éclat extraordinaire, et dégageaient un parfum très doux. Saint Grégoire VII (1085) lança l’interdit sur le royaume de Pologne, Boleslav II fut excommunié et déchu de la dignité royale.
Boleslav se repentit des crimes commis et finit sa vie dans un monastère bénédictin où, en tant que frère laïc, il resta inconnu jusqu’à sa mort, se consacrant à la pénitence et aux travaux les plus humbles. Saint Stanislas de Cracovie fut canonisé par le pape Innocent IV en 1253. Sur sa tombe eurent lieu des prodiges, dont notamment la résurrection de trois morts. Sa fête est célébrée le 7 mai dans le calendrier traditionnel.
Saint Ange de Jérusalem et Saint Stanislas n’ont pas été tués in odium fidei. Le premier a été poignardé par le châtelain incestueux auquel le Saint reprochait son crime horrible ; et Saint Stanislas fut assassiné par le roi qu’il mettait en garde contre sa débauche et sa sodomie. Il s’agissait donc de péchés contre la loi naturelle. Elle a aussi ses droits, qui doivent être défendus, et elle a donc ses martyrs en ceux qui sont morts pour les défendre. Défendre la loi morale naturelle, inscrite par Dieu dans le cœur de tout homme, signifie aussi Dieu lui-même.
Il n’y a pas de siècle qui n’ait connu des martyrs : les uns pour la Foi, les autres pour l’unité de l’Église, d’autres encore pour sa liberté. Le XXIème siècle s’est ouvert avec une attaque macabre contre la loi naturelle. Et il a besoin de témoins, c’est-à-dire de martyrs. Mais, comme l’écrivait prophétiquement dom Guéranger, « quoi qu’il arrive, nous pouvons être sûrs que l’Esprit de force ne manquera pas aux athlètes de la Vérité. Le Martyr est l’un des caractères de l’Église, et à toutes les époques, elle n’en a pas manqué ». Ces athlètes, la gloire de l’Église, par leur vie – et parfois même par leur mort ˗ proclament que l’Amoris laetitia ne consiste pas à se soustraire à la loi, mais à aimer Celui qui donne la loi pour notre « laetitia » éternelle. (Cristiana de Magistris)