Le succès électoral du parti Alternative für Deutschland a été salué comme l’arrivée tardive et tant attendue d’un parti populiste de droite en Allemagne, ou comme une catastrophe et une honte pour la classe politique et médiatique allemande. Ce score politique – 94 sièges sur 709 au Bundestag – est porteur d’espoir dans un pays politiquement dépressif et littéralement envahi par l’étranger. L’AfD est certes dorénavant une force politique avec laquelle il faudra compter et une opposition suffisamment nombreuse pour gêner toute coalition gouvernementale bien qu’insuffisante pour lui faire barrage.
L’arrivée d’un tel parti sur la scène politique allemande relève d’un exploit quand on comprend le contexte allemand où l’on n’ose pas arborer le drapeau national et où tout discours patriotique est suspecté de nazisme. Dire que l’Allemand est xénophile est un euphémisme car en réalité il est éduqué dans la haine de lui-même et de son identité. Les jeunes générations, plus que leurs aînées, manquent totalement de perspective historique et considèrent que l’Allemagne est porteuse d’une culpabilité que rien ne peut effacer et pour laquelle il faudra perpétuellement faire réparation. Si seulement l’Allemagne pouvait payer pour s’affranchir de sa dette, elle le ferait volontiers ; mais il lui est impossible de se libérer de cette culpabilité qui la détruit intérieurement : elle ne pourra en être quitte qu’en cessant d’exister. Il n’y a pas de pays plus attelé à son auto-destruction que l’Allemagne, comme il n’y a pas de peuple qui ait davantage payé sa défaite que les Allemands.
Toutefois, il faut bien distinguer de quelle Allemagne il s’agit. Celle qui n’est pas politisée, celle qui n’a pas accès aux médias, celle qui participe aux cortèges de PEGIDA et bien entendu celle qui vote AfD voudrait bien relever la tête, ce qu’elle commence à faire, mais sa marge de manœuvre est étroite et il lui faut beaucoup de courage.
L’AfD est, pour le moment, l’expression politique de cette réaction in extremis du peuple allemand. Elle a son côté spectaculaire et provocateur, mais elle a aussi ses faiblesses, la principale étant sa division interne en différentes tendances qui ne sont unies que pour entrer au Bundestag. Le fondateur de l’AfD, Alexander Gauland, est un conservateur nationaliste qui a cherché à rendre possible la percée de son parti par la promotion de Frauke Petri comme fer de lance électoral, une jeune femme dynamique, passant bien sur les plateaux de télévision, plus libérale et moins nationaliste que lui. L’AfD était alors surtout porteur d’un message libéral et hostile à l’Union européenne. Mais Frauke Petri a été désavouée parce qu’elle minimisait la question migratoire. Gauland s’est alors rabattu sur Alice Weidel, plus incisive sur cette question brûlante et en même temps très à la mode puisque homosexuelle. L’AfD soigne son image en accord avec les mœurs du temps, même quand elle les désapprouve, mais il faut tenir compte des autres tendances du parti qui doivent s’accommoder de la ligne médiatique imprimée par Weidel : les identitaires allemands représentés par Björn Höcke dont Petri avait demandé l’exclusion et qui est partisan d’un « virage à 180 degrés » de la mémoire allemande ; Jörg Meuthen, économiste et représentant l’aile libérale et euro-sceptique de l’AfD ; ou encore Beatrix von Storch qui défend les valeurs familiales conservatrices. Ces tendances cohabitent difficilement et leurs représentants s’excluraient volontiers du parti si on leur demandait leur avis.
Par cette diversité, l’AfD représente vraiment une grande proportion des électeurs allemands dans leurs divisions et leur complexité d’après-guerre. Mais cette diversité fait aussi la fragilité de l’AfD comme mouvement d’opposition politique. (Christophe Buffin de Chosal)