Anne Bernet enchante chaque année ses nombreux lecteurs de récits nouveaux, les emmenant à sa suite voyager de siècle en siècle, tantôt dans l’Antiquité romaine, tantôt sous la Révolution. A chaque fois, avec un remarquable talent de conteuse, elle rend vie au passé, campe le décor et dessine les traits de personnages depuis longtemps disparus. Le mérite en est d’autant plus grand lorsque les temps sont lointains et les sources rares.
Depuis quelques années, Anne Bernet a entrepris de nous faire découvrir les reines des temps mérovingiens. Nourrie notamment de la lecture de Grégoire de Tours, d’Isidore de Séville et de Venance Fortunat, elle a ainsi dressé successivement le portrait de Clothilde, de Radegonde et de Frédégonde. Après Frédégonde, inévitablement, devait venir le tour de son ennemie Brunehaut (Pygmalion, Paris 2014, 478 pages, 24,90 euro).
Tout séparait ces deux femmes, hormis la beauté, l’intelligence et une force de caractère peu commune, indispensable en ces temps rudes où le prix de la vie humaine n’était guère élevé. Frédégonde était, croit pouvoir écrire Anne Bernet, une gauloise d’humble origine, servante de la reine Audowère qui sut supplanter celle-ci dans le cœur du roi de Soissons, Chilpéric 1er, et s’imposer quelque temps plus tard comme reine à ses côtés. Brunehaut était la fille du roi des Wisigoths, épouse légitime du roi d’Austrasie, Sigebert 1er, demi-frère de Chilpéric.
A l’origine de la guerre terrible qui se livrèrent les deux reines, l’assassinat de la sœur de Brunehaut, Galswinthe, éphémère épouse de Chilpéric 1er, sur l’ordre de ce dernier. Cet assassinat devait permettre à Frédégonde de devenir à son tour reine. Si les deux rois Chilpéric et Sigebert s’entendirent alors, selon l’usage salique, pour qu’une indemnité vînt désamorcer l’engrenage de la vengeance, celle-ci n’en prit pas moins de dessus, alimentée par la solide détestation que se vouait Chilpéric et Sigebert.
A l’automne 575, alors que son mari était sur le point de perdre son royaume au profit de son frère, Frédégonde fit assassiner Sigebert. Quelques années plus tard, en 584, c’était au tour de Brunehaut de tirer vengeance de l’assassinat de sa sœur et de son mari en faisant assassiner Chilpéric. Au cours de cette faide, interminable et destructrice, la reine Brunehaut révéla d’exceptionnelles qualités politiques, exerçant à plusieurs reprises le pouvoir au sein du royaume d’Austrasie au nom de ses fils puis de ses petits-fils mineurs.
La dureté dont elle fit preuve finit par lui aliéner l’appui des Grands qui la livrèrent à ses ennemis. Ce supplice horrible infligé à la vieille reine Brunehaut, en octobre 613, devait durablement marquer les esprits. Au cœur de temps particulièrement troublés, dans une société encore dominée par des mœurs païennes, Anne Bernet nous offre une fabuleuse galerie de portraits, atemporels, nous montrant ce dont les hommes, et les femmes, sont capables lorsque l’Evangile est impuissante à en dompter les passions, à en civiliser les mœurs. (Philippe Pichot Bravard)