Nous publions une interview de Marie d’Armagnac avec Anne Coffinier, présidente de la Fondation pour l’Ecole, parue dans le mensuel italien Radici Cristiane.
Question : Pouvez-vous vous présenter pour nos lecteurs, votre formation et votre parcours professionnel?
Réponse : Mère de 4 enfants, catholique, ancienne élève de l’Ecole normale supérieur et de l’ENA, je me suis naturellement intéressée aux questions d’éducation. J’ai rapidement fait le constat que le manque de liberté à tous points de vue était un des freins majeur au relèvement du système éducatif français. J’ai mis de côté ma carrière de diplomate pour me consacrer à la rénovation du système éducatif français, en m’engageant dans la promotion de la liberté d’enseignement car c’est à mes yeux le nœud du problème.
- : La réflexion que vous avez menée sur l’éducation vous a portée à l’action : quel est le fruit de cette réflexion? qu’est-ce que la Fondation pour l’école?
- : Avec d’autres parents d’élèves, nous avons fait le même constat : les écoles libres (entièrement libres) sont les structures les plus propices à une éducation véritable, en harmonie avec les besoins des enfants. Elles permettent en effet une variété pédagogique et éducative que des écoles dirigées par l’Etat ne savent pas offrir. Elles respectent aussi la primauté éducative des parents.
Mais seules les familles les plus aisées peuvent y accéder. La situation en France est très injuste : la nomenklatura régnante nous presse de scolariser nos enfants dans le système éducatif public tout en s’en dispensant elle-même allègrement. Dans le même temps, les écoles privées subventionnées par l’Etat sont maintenues en laisse par le gouvernement qui refuse de financer l’ouverture de nouvelles écoles privées malgré la forte demande, restreint les crédits budgétaires et rognent toujours davantage sur leurs libertés. La pénurie organisée de place dans les écoles privées est scandaleuse car elle revient à ne donner de droit au libre choix de l’école qu’à une minorité d’initiés et de familles aisées tandis que les familles populaires ou issues de l’immigration sont cantonnées dans des écoles de basse qualité. La gratuité et la sectorisation obligatoire jouent l’effet d’un piège sur ces populations.
Notre système repose sur une scandaleuse hypocrisie. Aujourd’hui, nous avons la conviction que l’égalité des chances passe par un égal accès à l’école privée ou publique de son choix grâce à un financement public équivalent de toutes les options de scolarisation.
Nous voyions beaucoup de petites écoles se créer autour de nous. Notre Fondation pour l’école, créée en 2007, accompagne ces créations d’écoles indépendantes à faibles coûts de scolarité. 51 nouvelles écoles ont ouvert leur porte à la rentrée dernière. Il y a 711 écoles indépendantes aujourd’hui scolarisant 60 000 élèves environ. Il nous a semblé important de les soutenir dans leurs actions. Nous avons donc créé une Fondation pour pouvoir lever des fonds et les aider financièrement (www.fondationpourlecole.org). Nous les accompagnons également sur le plan juridique et administratif. Enfin, nous menons des actions de lobbying pour convaincre les pouvoirs publics de la nécessité à légiférer. Nous avons aussi une faculté privée de formation des maîtres (www.ilfm-formation.com) et des fondations spécialisées qui interviennent dans différents domaines clés : bourses aux familles pauvres, aide à la scolarisation des enfants précoces, développement d’écoles indépendantes à faible coût en banlieues sensibles… (www.esperancebanlieues.org)
Q.: En Italie, en plus des écoles publiques et des écoles privées dites paritaires, existent des écoles parentales qui sont plus ou moins comme les écoles hors contrat en France. Vue votre expérience, quel en est l’intérêt, ou la nécessité ?
- : En France, quand l’Etat crée une école, elle est publique. Quand la société civile crée une école, elle est privée hors contrat ou (autrement dit) indépendante. Au bout de 5 ans d’existence, les écoles peuvent passer un contrat avec l’Etat et devenir donc « sous contrat ». Quand la société civile crée une école, elle ne touche pas un centime d’argent public durant 5 ans. Lorsque l’école obtient le contrat (si elle n’est pas morte avant, faute d’argent !), elle perd une grande partie de sa liberté. Notamment, l’école privée sous contrat perd la possibilité de choisir et recruter elle-même ses professeurs. Elle subit au contraire les professeurs que l’Etat lui envoie, même s’ils ne sont pas en harmonie avec son projet éducatif ou sa foi, ou qu’ils sont de piètre niveau.
Les écoles sous contrat ne peuvent pas non plus mettre en œuvre un projet pédagogique cohérent, le directeur n’ayant aucune autorité sur les professeurs de son école, il n’est là que pour gérer les questions administratives. A l’inverse, les écoles indépendantes choisissent les programmes, les livres scolaires, les professeurs, etc. Elles sont bien sûr inspectées mais elles n’ont en fait qu’une obligation de réussite et non de moyen. C’est plutôt sain pour les élèves il me semble, car après tout, à quoi reconnait-on un bon professeur ou une bonne école ? Au moins à la réussite des élèves aux examens nationaux. L’Education nationale se caractérise à l’inverse par une faible liberté pédagogique et éducative et une irresponsabilité organisée quant aux résultats scolaires des élèves.
- : Vous dites souvent que l’école indépendante contribue à instaurer plus de justice sociale. Pourquoi? Qu’est-ce que le chèque éducation? Dans quel pays cette pratique est-elle courante?
R.: Il y a en réalité plusieurs injustices sociales. La première est liée au fait que l’école publique est gratuite car payée par les impôts des Français (110 % de l’impôt sur le revenu est affecté au Ministère de l’Education nationale). Mais si des parents choisissent d’inscrire leur enfant dans une école publique, ils n’obtiennent pas de remboursement sur leurs impôts ou de financement public pour financer leur choix (contrairement aux Pays-Bas ou à la Suède). Ils paient donc en réalité deux fois l’école de leur enfant. L’Etat fait, de surcroît, une substantielle économie sur les 20 % d’élèves qui ne sont pas scolarisés dans le système public et ne lui coûtent donc rien, alors même que leurs parents paient des impôts. C’est un système de chèque éducation, qui consiste à permettre aux parents qui souhaitent scolariser leur enfant dans une école privée, de bénéficier d’un chèque de l’Etat (qui est en fait virtuel et donné directement à l’école) pour payer sa scolarité. Cela crée également une saine émulation entre les écoles car elles sont financées au nombre d’élèves. C’est le système utilisé en Suède par exemple mais aussi au Pays Bas, en Lituanie, au Danemark selon des modalités différentes.
La seconde inégalité découle de la première en fait. Seuls des parents ayant certains revenus et un bon niveau d’éducation peuvent inscrire leurs enfants dans les écoles privées sous contrat. Les scolarités y sont assez élevées dans les grandes villes (2 000 euros par an et par élève en moyenne) et la sélection à l’entrée drastique pour les meilleures d’entre elles. En fait, la liberté de choisir l’école de son enfant n’existe que pour les familles aisées et dans la mesure des places disponibles. Ce n’est donc pas un droit opposable, c’est un privilège. Dans un Etat qui se prétend démocratique, cela a de quoi choquer.
- : Alors que les enseignements type “théorie du genre” commencent à se répandre en Italie, quels conseils donneriez-vous aux parents italiens? Comment s’organiser?
R.: De se battre contre cet ingérence dépacée, dans la sphère privée de la conscience et des mœurs qui ne regarde ni l’Etat ni l’école…. Et de mettre leurs enfants dans des écoles réellement libres en ce domaine comme en d’autres. Les écoles doivent avoir une anthropologie sûre.
L’école doit rester concentrée sur son cœur de métier, la transmission des connaissances, de la culture, le développement de l’aptitude à raisonner. Elle ne peut faire le jeu d’une instrumentalisation morale ou politique. En observant les systèmes scolaires étrangers, j’ai été frappée de constater qu’à chaque fois qu’un pays éloignait l’école de sa mission première, l’instruction, le niveau des élèves chutait. A l’inverse, quand l’école restait concentrée sur la seule instruction, le niveau progressait et l’école jouait alors pleinement son rôle d’ascenseur social. C’est certainement un élément à garder à l’esprit.