L’Italie a, au XXe siècle, donné de grandes figures de sainteté. Pourtant, rares sont celles dont la réputation a réussi à franchir les Alpes et se répandre en France. En voici deux, objets de récentes publications.
Qui connaît Annibale Maria Di Francia, né en 1851 à Messine ? Ce prêtre, ordonné en 1878, mort en 1927, canonisé en 2004, fêté le 1er juin, est pourtant un descendant de Louis d’Anjou, donc un prince capétien. Ayant abandonné une vie confortable au sein de l’aristocratie pour se dévouer aux pauvres et aux orphelins, Annibale Maria pourrait n’être qu’une de ces belles figures ecclésiastiques comme l’Europe catholique en produisit des centaines en une temps où la foi et les vocations abondaient. Son parcours, que décrit Joseph Blouin dans une mince plaquette, la seule disponible en français, Saint Annibal-Marie de France (Téqui 2016, 70 pages, 6 €), est édifiant. Cependant, si l’abbé di Francia se distingue du commun des confesseurs, c’est en raison des angoisses prémonitoires qu’il éprouva concernant l’avenir de l’Église et du sacerdoce catholique. Annibale Maria avait été vivement ému en découvrant les prophéties liées à l’apparition de Notre-Dame à La Salette en Dauphiné, le 19 septembre 1846.
La Sainte Vierge y déplorait la déchristianisation de France, la laïcisation des mœurs, l’éloignement de la pratique religieuse mais, surtout, annonçait que la colère de Son Fils était pour beaucoup due à l’attitude d’un clergé devenu « cloaque d’iniquité », expression qui choqua au point de faire douter même le curé d’Ars de l’authenticité du fait de La Salette. L’abbé di Francia, à la différence d’une partie de l’épiscopat français, semble avoir compris que cette prédiction, par une distorsion temporelle fréquente en pareil cas, visait moins le clergé de 1846 que celui à venir. D’où sa prescience de prier « afin que le Maître de la moisson envoie des ouvriers » alors qu’aucune crise ne se profilait encore à l’horizon. Dans ce but, Annibale Maria fonda, outre diverses publications et pieuses associations, deux ordres, l’un féminin, les Filles du divin zèle, l’autre masculin, les Rogationnistes du Cœur de Jésus, voués à la prière incessante pour les vocations.
La Providence lui fit rencontrer Mélanie Calvat, aînée des deux voyants de La Salette, en religion Sœur Marie de la Croix, qui, dérangeante, errait d’une communauté à l’autre. Il se tourna vers elle quand sa fondation féminine connut une mauvaise passe et lui demanda, ce qu’elle fit, d’assumer un temps le supériorat de la communauté. Cette initiative la sauva. Ce n’est pas le moins intéressant ici que de trouver, après la vie du saint, l’éloge funèbre de Mélanie qu’il prononça en 1902. Qui connaît l’histoire des apparitions mariales et du catholicisme français au XIXe siècle sera étonné de ce portrait de sœur Marie de la Croix, bien éloigné de l’image qui a prévalue d’elle.
Gemma Galgani, dont l’abbé Bernard Gallizia publie une biographie (Salvator, Paris 2016, 155 pages, 17,50 €), est plus connue. Née près de Lucques en Toscane en 1878, morte en avril 1903, à vingt-cinq ans, de tuberculose osseuse, canonisée en 1940, Gemma n’a presque jamais bougé de sa ville. Pourtant, à peine morte, on lui attribue d’innombrables grâces de conversion et de guérison. L’on révèle, alors qu’elle s’y était toujours opposée, les secrets de sa vie mystique.
Issue de la petite bourgeoisie, d’une beauté exceptionnelle, Gemma, dès son enfance marquée d’épreuves, se donna au Christ douloureux, désireuse de s’associer corps et âme aux souffrances de la Passion afin de Le consoler et mériter avec Lui. Bénéficiant de ses premières locutions à sept ans, des premières apparitions de son ange gardien, de saint Gabriel de l’Addolorata, de Notre-Dame et du Christ à dix-huit, stigmatisée à dix-neuf, elle vécut crucifiée physiquement et spirituellement, dans l’angoisse de ne pas correspondre assez aux bienfaits paradoxaux dont le Ciel la comblait.
Cette voie fait d’elle une prédestinée inimitable. L’on est effaré, effrayé, admiratif, consterné, séduit ou révulsé tandis que l’expérience mystique s’amplifie. Le Père Gallizia a beau prendre du recul, conscient de l’incompréhension prévisible de certains lecteurs, sa biographie, quoique intelligente et sensible, n’en reste pas moins, comme souvent s’agissant des mystiques, à réserver à un public averti des choses de la foi et de la vie spirituelle. (Anne Bernet)