Tout homme qui observe attentivement et sans préjugés la situation générale actuelle en Occident ne peut que convenir que nous nous trouvons au beau milieu d’une crise profonde de civilisation. La société d’aujourd’hui est fragmentée, voire “liquide”, selon la formule de Zygmunt Baumann, et vouée à un processus d’autoi-désagrégation qui rappelle l’ère du déclin de l’Empire romain.
Alors quel est donc le rôle des Catholiques dans cette situation? En premier lieu demeure pour chacun le devoir de se sanctifier. Et aussi, et surtout, vivre dans une époque chaotique comme la nôtre, ne signifie pas traîner son existence d’une façon dépourvue de sens, mais l’ordonner à Dieu, en méditant ces mots par lesquels Saint Augustin commence ses Confessions : « Vous nous avez créés pour Vous, Ô Dieu, et notre cœur sera instable tant qu’il ne reposera pas en Vous ». L’homme qui s’éloigne de Dieu pour ne suivre que ses propres intérêts et ses propres plaisirs est destiné à être malheureux.
S’approcher de Dieu signifie s’efforcer de suivre Sa volonté et Sa loi, et c’est précisément dans cette conformité à la Volonté divine que consiste la Sainteté. Mais l’Homme, pour agir, a besoin de modèles à suivre ; et c’est pourquoi l’Église, en canonisant les Saints, nous offre des exemples concrets de vie à imiter. « Leur expérience humaine et spirituelle – comme le dit Benoît XVI – nous montre que la Sainteté n’est pas un luxe, un privilège réservé à quelques-uns ou un objectif inaccessible pour une homme normal ; la Sainteté, en réalité, est le destin commun de tous les hommes appelés à être enfants de Dieu, ce qui représente la vocation universelle de tous les baptisés » (Audience Général du 20 août 2008).
L’objectif de la société n’est pas différent de celui de l’Homme. Et c’est le droit de Dieu que d’être le Premier, non seulement dans le cœur humain, mais dans la société entière, qui ne peut trouver qu’en Lui l’ordre et la stabilité. De nos jours, la vie est organisée de telle manière, que c’est l’Homme, et non pas Dieu, qui tient la première place dans les idées, les mœurs et les lois. C’est dans ce renversement que réside la cause principale des maux politiques et sociaux qui nous affligent. La renaissance politique et sociale dont chacun actuellement ressent le besoin ne peut intervenir que dans la mesure où l’on donne à Dieu la priorité dans la vie privée et dans la vie publique.
Or l’Homme a besoin de modèles non seulement sur le plan individuel, mais également sur le plan social. Et puisque les sociétés n’ont pas de vie ultra-terrestre, c’est donc dans la mémoire historique qu’il faut rechercher les modèles dont on peut s’inspirer.
Pour les sociétés, il n’y a guère d’autre choix possible que de se déclarer pour ou contre la vérité religieuse.Le refus de Dieu caractérise les “idéologies du Mal” du XXème siècle, telles que le communisme, et le nazisme, mais aussi les sociétés laïcistes contemporaines, qui évoluent vers une implacable “dictature du relativisme”.
Alors il est vrai qu’à ces sociétés, qui représentent une sorte de “contre-idéal”, l’on pourrait opposer le modèle pluraliste américain. Mais ce serait en vain. Car aux États-Unis l’on professe publiquement l’existence de Dieu, ce qui est un moindre mal, comparé à l’imposition agressive du laïcisme chez nous. Mais la mise sur un pied d’égalité des cultes est positivement un produit du “libre examen”, et cela, aucun Catholique, en son âme et conscience, ne peut l’accepter. Et si la parabole de la zizanie mêlée au bon grain (Mt. 13, 24-30) présente un fait, elle n’en fait pas pour autant un droit, ni un principe.
Un Catholique ne peut accepter le modèle de l’État éthique hegélien, dans ses différentes déclinaisons, qui vont du libéralisme au fascisme, ni le despostisme absolu de l’Ancien Régime, dans lequel la volonté du Prince se substitue à la Loi. Tous ces modèles acceptent le principe de la Raison d’État, fondé sur l’émancipation machiavélique de la politique à l’égard de la Morale.
Quel est alors le seul modèle historique auquel peut se référer un Catholique ? C’est la société sacrale médiévale dans laquelle, comme l’affirmait Léon XIII, « l’influence souveraine de l’esprit chrétien avait bien pénétré dans les lois, les constitutions, les mœurs des peuples » et « la religion de Jésus-Christ, solidement implantée à ce niveau qui lui convenait, croissait, florissante, à l’ombre bienfaisante des principes et de la protection des magistrats qui lui était due » (Encyclique Immortale Dei du 1er novembre 1885).
Or aujourd’hui l’on confond le principe catholique, d’après lequel nul ne peut être contraint par la force à croire, avec le principe du droit à l’erreur en matière religieuse et morale. Pourtant, lorsque l’Église enseigne que l’Homme n’adhère à la Foi que par un acte libre de volonté, elle n’entend absolument pas octroyer à l’erreur un droit de cité. Et c’est pour cette raison que Pie XII enseigne que l’erreur « n’a objectivement aucun droit, ni à l’existence, ni à la propagande, ni à l’action »(Discours Ci riesce du 6 décembre 1953).
Les Catholique peuvent accepter le pluralisme religieux comme un mal mineur ; mais un mal mineur n’est certainement pas un droit, et il n’est pas non plus nécessairement un petit mal. Le Catholique doit désirer avec toute la force de son âme une société intégralement chrétienne, et avec la même vigueur, il doit déplorer le neutralisme religieux que l’État moderne lui impose par contrainte.
Les Catholiques libéraux repoussent instinctivement ces pensées, qui sont dépourvues d’esprit surnaturel et croient plus dans les forces de l’Homme que dans l’aide de Dieu. Tout idéal leur paraît inapplicable, et tout ce qui est sociologiquement visible leur semble historiquement irréversible.
Au fond de leur âme, ils refusent la lutte, qu’ils considèrent comme la conséquence inévitable de la profession de la Vérité. Par lâcheté, ils pactisent avec l’erreur, et par manque de Foi, ils en sont submergés. Ce n’est pas leur exemple que nous devons suivre, mais celui des Saints, qui ont été des hommes comme nous, qui voulaient donner la première place à Dieu, dans leurs âmes et dans toute la société.
Par conséquent, il n’y a pas d’autre idéal social que celui exprimé par la Royauté de Jésus-Christ. Pie XI, dans l’Encyclique Quas primas, explique que le Christ est Roi, non pas dans un sens métaphorique, mais dans le sens propre du mot : Son règne n’est pas de ce monde (Gv. 18, 36), parce qu’il ne tire pas son origine du monde, mais il s’étend au monde, et c’est dans le monde qu’il commence à se réaliser, pour fleurir éternellement au Ciel. Jésus possède toute puissance, au Ciel et sur la Terre (Mt. 18, 28 ). C’est à dire qu’Il détient une souveraineté absolue sur les cœurs de tous les hommes et sur tous les types de société humaine, de la famille à l’État, en tout temps et en tout lieu.
Les conditions historiques peuvent certes rendre le Règne de Jésus-Christ difficile à appliquer. Mais ce Règne n’est pas une formule de dévotion. Au contraire: il est l’unique modèle auquel le Catholique puisse tendre, et l’unique condition normale, dans laquelle les hommes et les sociétés puissent vivre et prospérer. (R. de M.)