Pour les grands médias, la cause est entendue : l’unique raison d’être du synode ordinaire ouvert ce 5 octobre à Rome est d’en finir avec « le retard » de l’Église catholique dans le domaine des mœurs.
Leur brouhaha permet d’occulter les questions de fond, lesquelles, au demeurant, n’intéressent pas une presse étrangère à toute morale et décidée à saper ce qui reste de la civilisation chrétienne. Dans ce contexte, plusieurs publications viennent alimenter les débats pour ou contre « l’ouverture » de l’Église aux « nouveaux modèles familiaux ».
Le livre de Mgr Jean-Paul Vesco, dominicain et évêque d’Oran, Tout amour véritable est indissoluble (Le Cerf, Paris 2015, 110 pages, 9 €), a ouvert le bal. Mgr Vesco prétend à une interprétation toute personnelle de saint Matthieu (XIX, 1-11, V, 31-32) et saint Paul, affirme que les paroles de Notre Seigneur et de l’Apôtre ne sont pas extrapolables aux situations modernes, que les sortir de leur contexte « historique » serait une aberration. Partant de là, il soutient, au prix de savantes acrobaties théologiques et canoniques, qu’il n’y aurait que bénéfices à attendre d’un accès aux sacrements pour ceux que l’on appelle, à tort selon lui, « divorcés remariés ».
Si l’on se perd parfois dans cette démonstration qui voudrait que le second lien civil soit aussi indissoluble que le premier sacramentel, ce qui revient à admettre une bigamie sérielle, l’on saisit rapidement que le mot « miséricorde » employé à tout bout de champ l’est mal. Sans nier les souffrances que peuvent endurer des couples sincèrement épris mais dont l’union n’en reste pas moins adultère et peccamineuse, on ne saurait suivre Mgr Vesco dans cette voie qui revient à soutenir que tout se vaut, qu’un lien sacramentel n’a pas plus de valeur qu’un contrat civil, à nier, avec un certain mépris pour ceux qui s’y essaient, que l’on puisse vivre dans le respect de la loi de Dieu et la chasteté, et, finalement, au nom d’une charité tragiquement faussée, à pousser le pécheur à sa perte. Encore faut-il, bien entendu, croire à la possibilité de la damnation éternelle …
Plus surprenant est de voir le très charismatique abbé Michel-Marie Zanotti-Sorkine, jusque-là réputé pour sa solidité doctrinale, publier une Lettre ouverte à l’Église du Troisième Millénaire (Robert Laffont, Paris 2015, 60 pages, 5 €) qui, sous prétexte de donner sa propre vision de l’année de la Miséricorde demandée par le pape François, dénonce à son tour tous azimuts le « décalage » entre la réalité vécue par nos contemporains et la morale catholique, principale source, à l’en croire, de l’éloignement des fidèles qui se sentiraient incompris, rejetés et nourriraient, par conséquent, incompréhension et dégoût envers notre sainte Mère l’Église …
Pour l’abbé Zanotti-Sorkine, il convient de présenter un visage plus moderne, ouvert, charitable et miséricordieux, d’oublier ces inévitables manquements aux commandements et à la morale nés de la liberté généralisée des mœurs car le Christ n’est pas venu condamner l’amour mais le bénir … Discours bien connu, qui confond amour, miséricorde et pardon avec une tolérance généralisée censée ramener les gens au catholicisme en absolvant tout et n’importe quoi.
Outre le fait que cela ne marche pas, la preuve étant que les protestants, si tolérants, ont vu les temples se vider plus vite que nos sanctuaires, il y a là une méconnaissance de ce que doit être l’Église, dont le but n’a jamais été de plaire au monde, et l’oubli d’une partie de la vérité évangélique : Jésus pardonnait mais demandait au pécheur de changer de vie, la miséricorde allant avec la conversion. Et les Apôtres n’ont pas converti le monde en le caressant dans le sens du poil et bénissant les mœurs païennes … Tout au contraire !
On attendait, de ce prêtre adulé par tant de fidèles, un discours moins convenu et plus catholique, conforme à celui qu’il tient d’ordinaire.
Contre l’ouverture
Au vrai, nous sommes là face à une démonstration de ce que l’on appelle parfois l’esprit « bisounours », attitude visant à ne faire de peine à personne, tout comprendre, tout admettre, sauf, souvent, la saine doctrine et ses partisans, assimilés à de méchants « fanatiques, intégristes, réactionnaires et retardataires » … Face aux attaques dont ils font inévitablement l’objet de la part de leur entourage, leurs coreligionnaires « avancés » et même parfois leurs pasteurs, les catholiques, clercs ou laïcs, décidés à s’en tenir à l’enseignement traditionnel de l’Église en matière de mœurs, de sacrements et de mariage, se référeront utilement à deux livres argumentés, signés de prélats dont la solidité doctrinale ne fait, elle, grâce à Dieu, aucun doute.
Le premier, le plus accessible au lecteur « ordinaire », celui qui ne possède pas de notions de théologie et de droit canonique, Le Synode sur la famille en 100 questions (Contretemps, diffusion Salvator, Paris 2015, 130 pages, 15 €), est l’œuvre conjointe de Mgr Aldo di Gillo Pagotto, archevêque de Paraiba au Brésil, Mgr Robert Vasa, évêque de Santa Rosa en Californie, et Mgr Athanasius Schneider, évêque auxiliaire d’Astana au Kazakhstan.
Très inquiets devant la tournure prise par les débats lors du Synode extraordinaire d’octobre 2014 et les déclarations médiatisées de certains prélats, sensibles aux arguments entendus de la part des médias et de fidèles qu’ils influencent, les trois évêques donnent une suite intelligente de questions-réponses.
Reprenant les principales interrogations sur la doctrine catholique de la famille, du mariage et des sacrements, n’hésitant pas à mettre en avant les arguments adverses, notamment sur la prétendue nécessité d’aligner l’enseignement de l’Église sur l’évolution des mœurs, ils répondent avec clarté et concision à la question posée, puis, d’abord à l’intention de ceux qui exercent des fonctions dans l’Église, prêtres ou laïcs, donnent les références des textes sur lesquelles s’appuient leur démonstration.
C’est net, efficace. Avec cela, personne ne restera désarmé, sans réponse appropriée face aux affirmations progressistes. Tant pis si cette fermeté doctrinale, conforme à l’évangile et la Tradition, irrite ceux qui s’obstinent à vouloir dissoudre le catholicisme dans une modernité à bout de souffle.
Le mariage et la famille dans l’Église catholique ; onze cardinaux apportent un éclairage pastoral (Artège, Paris 2015, 210 pages, 19,90 €) vise un public plus formé. Rappelant que le faux débat sur une possible reconnaissance des unions homosexuelles, une éventuelle légitimation des couples divorcés remariés et leur accès à l’Eucharistie concerne avant tout une société occidentale déboussolée mais scandalise Africains et Asiatiques, l’un des premiers mérites de cette étude est de remettre le caractère universel du catholicisme en évidence.
En cela, les interventions du Cardinal Sarah, Guinéen, du Cardinal Cleemis, archevêque de l’Église syro-malabare, du Cardinal Onaiyekan du Nigeria, sont très précieuses, et l’apparente brutalité de certaines de leurs affirmations, brutalité en vue du seul salut des intéressés, passe certainement mieux venant d’eux que d’Européens ou d’Américains.
Chacun avec sa sensibilité propre revient sur ce que doivent être le mariage, la famille, et cette fameuse miséricorde dont nous devons faire grand cas. Chacun s’interroge sur ce que devrait être une pastorale appropriée à ces défis du troisième millénaire et qui ne résumerait pas à liquider la morale catholique sous prétexte de ramener, peut-être, de temps en temps, quelques brebis égarées à la messe.
Enfin, et c’est là le point crucial, les onze cardinaux, qu’ils soient italiens, allemands, indien, africains, espagnol, hongrois, hollandais ou vénézuélien, ouvrent enfin le vrai débat : en serions-nous là si, depuis tant d’années, l’Église n’avait choisi une ouverture au monde toujours à sens unique, privilégié des « expériences » liturgiques et catéchétiques désastreuses ou scandaleuses qui firent perdre aux fidèles le sens du sacré ? Comment s’étonner que le pécheur public prétende aux mêmes « droits aux sacrements » que le fidèle en état de grâce alors que, depuis cinquante ans, l’on ne parle plus de péché et que le nouvel « ordo missae » a trop souvent remplacé le mystère eucharistique par une caricature de cène protestante ?
Ce que disent ces onze cardinaux, c’est qu’il convient de restaurer la sainte messe dans sa dimension catholique, recommencer à enseigner les vérités de la foi, et d’abord celles de la Présence réelle ou des fins dernières, aux fidèles. Alors, et alors seulement, chacun prendra la mesure de ses actes et en tirera les conséquences.
Le plus grand signe d’espoir n’est-il pas, chose inimaginable voilà vingt ans, que tant de princes de l’Église osent aujourd’hui tenir ce langage salutaire ? (Anne Bernet)