«J’étais un étranger et vous m’avez accueilli» (Mt 25,35). Rarement l’interprétation d’une parole du Christ aura donné lieu à de telles controverses, et engendré une telle confusion, pas toujours involontaire, dans le message que l’Eglise entend proclamer au monde sur l’accueil de l’étranger, et partant, sur l’immigration.
Nous sommes tous des migrants
«Le chrétien accueille tout le monde», «nous sommes tous des migrants» : ce type de message, martelé jusqu’à l’obsession par le pape Francois, à grand renfort de gestes symboliques et ultra-médiatisés dont les voyages à Lampedusa et Lesbos ne furent pas les moindres provoque chez nombre de catholiques un malaise grandissant.
Confrontés aujourd’hui à une immigration massive et incontrôlée à majorité musulmane, alors même que les précédentes vagues d’immigration extra-européenne n’ont pas été assimilées, les catholiques européens sont en effet aujourd’hui les spectateurs désolés et impuissants de la dilution de l’identité chrétienne de l’Europe. Attachés par les mêmes liens de cœur et de sang, à leurs communautés naturelles, leurs familles, leurs villages, leurs écoles, leur patrie, et leur foi héritée de leurs pères, les chrétiens d’aujourd’hui perçoivent le discours de l’Eglise, jusqu’au sommet de sa hiérarchie, comme une trahison, suscitant chez eux, au mieux, une incompréhension ravageuse. L’option préférentielle pour cet Autre venu de loin prêchée par l’Eglise depuis Vatican II et qui vient opportunément en renfort des politiques immigrationistes menées à droite comme à gauche depuis des décennies, engendre chez le catholique de bonne foi, enraciné, une confusion qui chez certains frise la schizophrénie.
C’est de ce sentiment d’injustice et d’abandon dont l’auteur, à travers son essai, entend se faire le porte-parole, «car celui qui ne se met pas en colère quand il y a une cause pour le faire commet un péché. En effet, la patience déraisonnable sème les vices, entretient la négligence, et invite à mal faire non seulement les méchants, mais les bons eux-mêmes » (Saint Jean Chrysostome).
Au delà de la polémique dans laquelle on a voulu enfermer son propos, Laurent Dandrieu, rédacteur en chef des pages culture de l’hebdomadaire Valeurs actuelles mais aussi spécialiste des questions religieuses développe ici une réflexion salutaire, forte, argumentée, sur le discours et l’attitude de l’Eglise, ou plus précisément de sa hiérarchie, de Pie XII au pape François, face au phénomène migratoire. Il démontre, avec une érudition jamais prise en défaut, puisée aux meilleures sources, et revisitant encycliques et discours des derniers papes, que la parole dominante de l’Eglise sur l’immigration, martelant la nécessité obligatoire d’un accueil inconditionnel de l’Autre, participe, nolens volens, à la ruine de la civilisation européenne.
Paru le 12 janvier dernier, cet essai entend faire naître un débat au sein de l’Eglise: la charité personnelle envers le plus faible, le nécessiteux, dont la pratique est une obligation pour tout chrétien constitue-t-elle une ligne d’action politique? La charité politique n’est-elle pas alors bancale, hors-sol, amputée de l’indispensble exercice de la justice envers son prochain, «les plus proches ayant un droit de priorité» comme le rappelle saint Thomas?
Comme le souligne fort justement Monseigneur Aillet, «régulation des flux migratoires et accueil des réfugiés, justice et charité, ne sont pas inconciliables. (…) Il n’est pas interdit (…) de se poser la question politique, non seulement de la charité mais aussi de la justice, en évitant de se laisser submerger par une vague d’émotion, suscitée par des images savamment diffusées au nom d’un moralisme culpabilisateur et manquant passablement de recul ».
De Lépante à Lesbos?
L’auteur analyse fort justement les causes de cette rupture majeure dans le discours de l’Eglise face à l’islam: comment est-on brusquement passé de Lépante à Lesbos? Bien avant le pape François, cette «étrange islamophilie», apparaît dès Nostra Aetate (1965): «L’Eglise regarde avec estime les musulmans, qui adorent le Dieu unique, vivant et subsistant, miséricordieux et tout-puissant. (…) De plus, ils attendent le jour du jugement, où Dieu rétribuera tous les hommes après les avoir ressuscités. Aussi ont-ils en estime la vie morale et rendent-ils un culte à Dieu, surtout par la prère, l’aumône et le jeûne.
Même si, au cours des siècles, de nombreuses dissensions et inimitiés se sont manifestées entre les chrétiens et les musulmans, le saint concile les exhorte tous à oublier le passé et à s’efforcer sincèrement à la compréhension mutuelle, ainsi qu’à protéger et à promouvoir ensemble, pour tous les hommes, la justice sociale, les valeurs morales, la paix et la liberté».
Dès lors, il ne sera plus question, ou si peu, de nécessaire prudence, de Bien commun des nations dans le discours de l’Eglise sur l’immigration. Habillant un discours toujours plus politique de justifications théologiques, – les migrations «sont comme une préfiguration anticipée de la cité sans frontières de Dieu» a pu dire Benoit XVI, – l’Eglise donne une dimension messianique au phénomène migratoire: «le phénomène migratoire n’est pas étranger à l’histoire du salut, bien au contraire, il en fait partie. (…) Ce phénomène constitue un signe des temps, un signe qui parle de l’oeuvre providentielle de Dieu dans l’histoire et dans la communauté humaine en vue de la communion universelle», affirme le pape Francois dans son message pour la journée du migrant et du réfugié de l’année 2017.
Ce qui, en passant, réduit de fait au silence le pauvre catholique du rang qui s’en voudait de s’opposer à l’avènement d’une humanité renouvellée et apaisée…
Le catholique identitaire, un « mauvais » catholique » ? La polémique.
Paru fort opportunément au même moment, le livre du blogueur Koz, Erwan Le Morhedec, tente maladroitement de discréditer la réflexion de Dandrieu en usant d’une ficelle bien connue, la diabolisation. Car parler de l’enracinement de sa foi, ou même de l’attachement du chrétien «de culture» sinon de pratique au clocher de son village c’est soulever la question interdite de l’identité chrétienne d’un pays. Question frappée donc d’un interdit moral car, explique Dandrieu dans une interview accordée à Aleteia, «aujourd’hui, au nom d’une foi pure de tout attachement à sa communauté naturelle, dénoncée comme un communautarisme et comme «une crispation identitaire», un certain cléricalisme, laïc ou religieux veut poursuivre cette stratégie suicidaire aboutissant à se couper du peuple», méprisant ainsi un certain «catholicisme culturel regardé de haut au nom d’une exigence de pureté de la foi».
Opposer alors une tentention «néo-cathare» à la tentation identitaire? Le livre de Koz, relayé sur les ondes de Radio vatican et dans l’Osservatore romano «est utilisé comme un moyen de suspicion contre les catholiques qui se soucieraient de la défense de leur patrie» tranche Dandrieu.
Ce débat qui s’ouvre, cette remise en cause de la doxa ecclésiastique sur l’immigration est déjà de mise en Europe de l’Est, et chez certains membres de la hiérachie ecclésiastique. Dans les médias l’essai de Dandrieu a été très relayé, discuté, combattu, analysé. Le cardinal Barbarin comme Alain Finkielkraut débattent sur cette question de l’identité de l’homme catholique. A la faveur de ce livre, un tabou est en train de tomber: l’Eglise saura-telle saisir l’urgente nécessité d’un examen de conscience? (Laurent Dandrieu, Eglise et immigration, le grand malaise, Presses de la Renaissance, Paris 2017, 309 pages, 17,50 euros) (Marie d’Armagnac)