Livres: Quelle pastorale cinquante ans après Vatican II?

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Vatican II se voulait « pastoral ». Voilà un demi-siècle qu’on nous le répète. N’est-il pas temps, justement, de tenter d’éclaircir ce que l’on a voulu mettre sous ce mot et ce qu’il recouvre véritablement aujourd’hui dans l’Église ?

Tel était le but que s’était fixé, en 2018, le colloque organisé par l’Institut du Bon Pasteur dont l’abbé Matthieu Raffray publie les actes sous le titre Quelle pastorale cinquante ans après Vatican II? publié aux éditions Via Romana (340 pages, 24 €).

La pastorale bien comprise est l’art de conduire les âmes au Salut, en quoi elle est en effet, comme le rappelle dans la préface l’abbé Philippe Laguérie, fondateur de l’IBP, un devoir fondamental de tout prêtre, voire de tout baptisé dès lors qu’il possède quelque pouvoir d’enseigner. Peut-on, cependant, séparer la pastorale du dogme sans prendre le risque de retirer les balises le long du chemin tracé par l’unique Pasteur, le Christ rédempteur ? Pendant deux millénaires, la pastorale n’a été qu’une façon de faire passer les vérités révélées aux croyants et de leur enseigner à les mettre en pratique. Devait-on, parce que ces vérités semblaient en porte à faux avec l’air du temps et mal acceptées par le monde, les infléchir, les adapter, au nom des nécessités « pastorales » jusqu’à obvier l’enseignement intangible de la foi catholique ? Tout le drame post-conciliaire réside en cette problématique dont les conséquences depuis cinquante ans ne font que s’aggraver tandis que le pontificat actuel éclaire d’un jour spécialement crû ruptures, dérives, changements, bouleversements dans la foi et les mœurs.

Ce n’est pas un procès de l’Église post-conciliaire qu’ont voulu faire les intervenants, souvent prestigieux, de ce colloque, simplement un constat, au terme duquel ils suggèrent, avec tout le respect dû au successeur de Pierre, les inflexions nécessaires, urgentes, vitales qu’il conviendrait d’opérer afin de revenir, tout simplement, au catholicisme.

Les spécialistes de ces questions ne trouveront pas ici de révélations fracassantes mais une analyse synthétique, remarquable et argumentée, accessible à un vaste public, de la révolution qui s’est produite, de façon plus ou moins insidieuse depuis les années 60 et qui, de cercles étroits de théologiens avant-gardistes a fini, au fil du temps, par gagner l’Église entière, des simples fidèles jusqu’aux sommets de la hiérarchie, mettant en danger le dépôt de la foi. Il faudrait des volumes entiers, et d’immenses recherches, pour retracer dans le détail l’histoire du phénomène; les intervenants ont choisi de s’arrêter à des thèmes rapides à traiter, mais qui éclairent la tactique et mettent en évidence les racines du mal dont souffre actuellement l’Église. Il est vain, ainsi que le disait Bossuet, de déplorer les effets dont on vénère les causes. Or, l’on a fait en sorte d’élever Vatican II au niveau d’une œuvre intouchable, sur laquelle il serait sacrilège de revenir, voire même de s’interroger. Ce faisant, l’on est assuré d’empêcher tout redressement. Ce sont ces contradictions internes, ces manœuvres souterraines, ces calculs, et leurs buts, assez peu catholiques, il faut bien le dire, que l’on démontre ici.

En fonction des centres d’intérêts, des compétences, des connaissances, chacun trouvera là de quoi nourrir sa réflexion. Le cardinal Burke sonde l’infléchissement du droit canonique, notamment en ce qui concerne le sacrement de mariage ; l’abbé Raffray montre comment le glissement sémantique de l’expression « signes des temps », habilement détournée du sens évangélique renvoyant à l’annonce de la Parousie, est devenu un moyen de mettre l’Homme au centre de la pratique religieuse et d’en faire à la place de Dieu le véritable moteur d’une théologie qui ne mérite plus ce nom. Grand défenseur de la famille, de la loi naturelle et de la Vie, le professeur Roberto de Mattei analyse, à travers le refus de l’encyclique Humanae Vitae, la nouvelle morale qu’au nom de la charité l’on prétend substituer à la morale chrétienne traditionnelle. Dans un ordre d’idées complémentaire, Laurent Dandrieu démonte un autre schéma de la pensée ecclésiastique dominante, très cher à l’actuel pontife, qui transforme le « migrant » en figure messianique d’un genre inédit, dans l’illusion, plus ou moins innocente, de l’avènement d’une société sans frontières ni attaches, qui ressemble plus à l’avènement du mondialisme maçonnique qu’à celui de la Jérusalem céleste … L’abbé Pedro Gubitoso s’interroge sur la notion de « peuple de Dieu » qui, sous prétexte d’œcuménisme et d’ouverture à l’autre conduit à l’indifférentisme religieux, voire à l’apostasie généralisée, en quoi, comme le souligne l’abbé Marin Cottard, le rôle au concile des observateurs non catholiques, et d’abord des protestants, n’a pas été neutre, tant s’en faut. « La protestantisation » de la messe ou le refus de nouveaux dogmes marials en sont les conséquences évidentes. Faut-il s’étonner, dans ces conditions, que l’on ait abouti à cette « perte de la foi dans les sacrements » dénoncée par Don Nicola Bux et dont la récente crise sanitaire n’a fait que souligner l’ampleur et la gravité, une majorité d’évêques manifestant leur absence de confiance dans l’Eucharistie. La faute d’ailleurs à la formation qu’eux-mêmes ont reçue dans les séminaires, et à un enseignement philosophique qui n’a plus grand-chose de catholique, comme le démontre l’abbé Daniel Pinheiro. L’on aboutit ainsi à une perte de sens du sacerdoce catholique, le prêtre étant réduit au rôle d’animateur social de sa communauté et perdant toute dimension sacrée, dérive très nette dans la vision du sacerdoce que prône le pape François telle que l’analyse l’abbé Mateusz Markiewicz. Si l’on tient, à sa suite, « l’aptitude à la relation » pour « un critère décisif de discernement vocationnel » au détriment de l’appel divin adressé à certains jeunes gens, l’on ne règlera pas aisément la crise des vocations …

Mais le veut-on ? Toute la question est là. À travers l’épisode du synode sur l’Amazonie et l’affaire de la Pachamama, Mgr Schneider, dont l’intervention postérieure au colloque n’a pu cependant prendre en compte l’événement impensable voilà peu encore, de la suspension du culte public pendant l’épidémie de COVID 19, épisode qui mériterait, lui aussi, d’être développé, dénonce l’apparition d’un courant sectaire « amazonico-catholique » au sein même de l’Église susceptible d’aboutir à « une éclipse spirituelle temporaire » si le pape en arrivait à le cautionner.

Ce n’est donc qu’après un retour à la pure lumière de la foi et à l’enseignement intégral de toutes les vérités du Salut qu’il serait possible de mettre en œuvre la « nouvelle pastorale liturgique » que l’abbé Claude Barthe appelle de ses vœux et pour laquelle il trace quelques pistes. Les derniers événements, l’interdiction de la communion sur les lèvres sous prétexte sanitaire, montrent combien le moment de cette renaissance est encore éloigné.

Ne reste aux fidèles qu’à prier afin que ce temps d’épreuve soit abrégé et que le Christ, le Soleil de Justice, éclaire à nouveau les âmes. (Anne Bernet)

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