Matteo Salvini, l’indiscipliné

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Matteo Salvini ? C’est à peine si le nom évoque quelque chose en France. Les plus savants y voient un tribun politique, doublé d’un trublion. Les autres, un agitateur extrémiste. Marie d’Armagnac, qui a vécu de longues années à Rome, et connaît l’Italie de l’intérieur, précise, dans Matteo Salvini l’indiscipliné, une histoire dont il reste encore à écrire, peut-être, les plus belles pages (Marie d’Armagnac, Matteo Salvini, l’indiscipliné, 207 pages, septembre 2019).

«Pour découvrir qui nous sommes, il est important de retrouver nos racines.» Cette simple phrase en forme de programme résume, à elle seule, la poussée fulgurante du jeune tribun italien, mais également l’opposition farouche qui se manifeste, ici et là, à son encontre. Réglons d’emblée, à ce sujet, la critique un peu rapide qui voudrait que Marie d’Armagnac ait fait œuvre hagiographique. Pour une certaine intelligentsia, il n’est guère possible de parler d’un homme qu’elle qualifie volontiers d’extrémiste sans l’affubler d’un certain nombre de noms d’oiseaux. A ce compte-là, il n’est plus guère possible d’écrire quelque biographie que ce soit, tant il est vrai que l’objectivité ne saurait être une vision sèche de la réalité, alors que, au-delà des faits, elle consiste aussi à écrire non seulement avec sa raison, mais aussi avec son cœur – et, pourquoi pas ? ses tripes. C’est d’ailleurs ce que font, depuis des mois, les Italiens, ses compatriotes, renvoyant les esprits étriqués à leurs tristes études. Fermons le ban !

Ces racines, qu’au nom d’une vision idéologique des droits de l’homme trop de nos dirigeants voudraient renvoyer aux oubliettes, expliquent tout le parcours – le parcours passé, mais, soyons-en sûrs, le parcours futur de Matteo Salvini.

Entré à la Ligue lombarde parce qu’il est Lombard – « je suis Lombard, je vote Lombard » – le jeune Matteo est un militant exemplaire, donnant tout pour la terre qui la vu naître, sans chercher ni gloire ni honneurs, au point qu’il ne s’offusque pas de ce que Umberto Bossi, le fondateur de la Ligue, le laisse dans l’ombre.

Un dévouement qui pourrait presque faire mentir le titre du livre de Marie d’Armagnac, tant il est vrai que, avant de devenir ce trublion qui secoue l’Italie et, parfois, l’Europe, il a d’abord appris la discipline. Pourrait-il être devenu ce qu’il est aujourd’hui sans cela ? Sans cette école, tout à la fois stricte et passionnante, du militantisme politique ?
Marie d’Armagnac ne laisse rien dans l’ombre. Si l’on suit évidemment le jeune Matteo dans ses premières années, dans ses succès comme dans ses échecs, elle nous livre aussi une histoire rapide de cette Ligue, de ses principaux dirigeants d’origine, de ceux qui aujourd’hui encadrent le jeune leader italien. Et l’on voit comment, en quelques années, celui-ci parvient à transformer un mouvement régionaliste, certes sérieusement implanté et structuré, en une force politique nationale – et même européenne.
Pour avoir raté ce coche, la Ligue d’Umberto Bossi a cependant failli disparaître. Il a fallu à Matteo Salvini, en en prenant la tête, l’intuition de la transformation nécessaire qui, de la région, le conduirait à la nation. L’intuition… et le don de soi.

Car il ne suffit pas de faire évoluer, sans cependant les prendre à rebrousse-poil, les principes fondateurs du mouvement. Il faut aussi être présent. Ici. Là. Partout. Les Italiens – comme la plupart des peuples – aiment que leurs dirigeants s’intéressent à eux. Autrement qu’à travers des formules lapidaires, en étant présents.

Ses détracteurs dénoncent, dans cet attachement aux gens, aux petites gens, un populisme, qu’ils assimilent, en Italie comme ailleurs, à de la démagogie. Mais ne se rendent-ils pas compte que, au-delà même de la question démocratique, on ne peut gouverner un pays sans avoir le peuple avec soi ? L’idéologie n’y saurait suffire, parce qu’elle n’a pas de cœur, et les peuples se lassent vite de ceux qui ne les aiment pas, et qui, de Bruxelles ou d’ailleurs, les gouvernent à coup de réglementations et de manuels.
Dans une étude aussi précise qu’il était possible, Marie d’Armagnac montre bien que, pour Matteo Salvini, être Italien – comme être Lombard – n’est pas un vain mot, mais une vérité qui le rend proche de ceux qu’il croise. Les Français ignorent peut-être tout de Matteo Salvini, mais les Italiens le connaissent, car il sillonne son pays d’est en ouest, et du nord jusqu’au sud lui-même – malgré une incompréhension originelle qui lui a demandé un important travail sur lui-même.

Au-delà de la démarche, Matteo Salvini l’indiscipliné nous permet de mieux percevoir quels sont les idées et les projets qui meuvent le jeune chef de la Ligue. Salvini ne s’est pas contenté, en effet, d’aimer ses compatriotes, il a voulu, il veut leur donner, de nouveau et davantage, la fierté de ce qu’ils sont, la fierté de leur pays.

C’est ce dur labeur, ce long chemin qui lui a permis de transformer la Ligue en un parti de gouvernement. Certes, Matteo Salvini a commis des erreurs, et l’auteur ne nous les cache pas, comme celle de croire qu’il pouvait, fort d’une adhésion populaire grandissante, briser la coalition avec le M5S, afin de retourner aux urnes. Les politiciens, qui ne sont plus à une coalition près, ni à un gouvernement éphémère, ont profité de cette manouvre mal combiné pour l’évincer… en créant une nouvelle alliance dont il était jusque-là proclamé, y compris par les intéressés, qu’elle ne pourrait jamais avoir lieu.
Marie d’Armagnac n’évoque pas ce retour à l’opposition de Matteo Salvini – son livre était déjà sorti. Mais le portrait très documenté qu’elle dresse, grâce à ses rencontres avec quelques-uns des plus proches collaborateurs du patron de la Ligue, permet d’entrevoir ce que pourrait être la suite de l’histoire. Matteo Salvini a, aujourd’hui, l’envergure d’un homme d’Etat.
Travail et pragmatisme sont les deux clefs de ce résultat pour un petit militant sur lequel, malgré la sympathie qu’il génère depuis les débuts de son aventure, personne n’aurait osé miser.
C’est peut-être aussi parce qu’il s’est toujours voulu un Italien typique que celui que nombre de ses compatriotes nomme Il Capitano a ainsi connu le succès. Pour être descendu, volontairement ou presque, du piédestal gouvernemental, Matteo Salvini n’a rien perdu ni de son enthousiasme, ni de son caractère vibrionnant. L’indiscipliné n’a pas fini de faire parler de lui. L’actualité électorale l’a déjà reprojeté au premier rang en Ombrie ; et les sondages lui promettent bientôt de nouveau succès.
Tout cela a un goût de revanche. Malgré les marches téléguidées d’opposition à la Ligue, nombre d’Italiens voient déjà Salvini au palais Chigi. Voire au Quirinal. Un prochain volume à écrire pour Marie d’Armagnac… (Olivier Figueras)

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