Nous publions ci-après une partie de l’Introduction de Bernard Antony au livre du prof. Roberto de Mattei sur Le pape François. Bilan de dix ans de pontificat, qui vient d’être publié par les éditions Godefroy de Bouillon (http://godefroydebouillon.fr/).
En relisant tous les articles publiés dans ce livre, j’ai ainsi admiré combien ils constituaient fréquemment de précieuses clés d’interprétation de propos et d’actes du pape François plusieurs fois surprenant par d’étonnantes contradictions.
Mais, je tiens d’abord ici à exprimer ma vive reconnaissance à Roberto de Mattei pour l’éloge que, dans le premier éditorial ici reproduit, il a consacré au professeur Jean de Viguerie. Ce dernier fut en effet un historien prestigieux du XVIIIe siècle et de toute son abomination révolutionnaire, un ami et un grand conférencier des universités du Centre Henri et André Charlier. À la carrière et à l’œuvre retracée dans l’article, qu’on permette à l’étudiant toulousain que je fus comme Viguerie, d’ajouter que ce dernier, revenu dans sa province de Languedoc après sa retraite, devint un membre éminent de la vénérable et prestigieuse Académie des Jeux Floraux de Toulouse.
Dans le premier éditorial de Mattei repris en début de ce livre, on apprend avec plaisir, mais sans aucun étonnement, la convergence d’idées de Viguerie avec le philosophe italien Augusto Del Note. Né à Rome, par les hasards de la carrière de son père, Viguerie fut aussi toujours profondément romain par son amour, si l’on peut dire, de toutes les Romes : notre Rome « mère des arts, des armes et des lois » mais surtout mère de notre foi.
Ayant Romain pour second prénom, je veux, sans attendre, saluer ici le très beau passage de Mattei, plein de souffle, consacré à sa ville, la Ville éternelle dans son article : « L’esprit romain dont nous avons besoin ». Mais Dieu que le pape François, me semble-t-il, manque d’esprit romain ! Et si c’était cela, peut-être, cher Mattei, qui expliquerait que le bon pape Benoît XVI, certes liturgiquement, culturellement si profondément universellement romain, ait voulu à la fois n’être plus pape mais simultanément le demeurer jusque dans un immuable enracinement mystique, jusqu’à son dernier souffle au Vatican ? Ce qui n’était pas, à l’évidence, du goût de François…
Est-ce cela alors qui expliquerait aussi que le synode germano-amazonien, que certains ont tendance à désigner par le synode « Pachamama », ne se serait pas finalement très bien passé, un échec entraînant quelque amertume chez François et sans doute le renoncement à un voyage qu’il aurait imaginé triomphal à la perspective d’un saut qualitatif brusque dans l’avancement de la théologie de la libération.
Roberto de Mattei a évidemment consacré un article important à la troisième encyclique du pape François « Fratelli Tutti », signée le 3 octobre 2020, à Assise. « Presque le document conclusif de son pontificat, écrit-il, une sorte de testament politique ».
On admirera ensuite la pertinence de ses commentaires. Pour les résumer : quel triste remplacement de la foi catholique par l’idéologie de la Révolution française ! Ne garde-t-on pas d’ailleurs en mémoire, dans la même veine, les photos d’un François qui n’est pas toujours affable, tant s’en faut, avec les catholiques de conviction, visitant naguère à Cuba, comme un vieux complice hilare, un Fidel Castro baigné de joie ?
Mattei a le don des formules très pédagogiques. Ainsi, titre-t-il son article sur la « querida Amazonia » : « Les conséquences d’un changement qui n’a pas eu lieu ». Comment mieux faire observer qu’avec l’émergence du culte de la « pachamama » qu’il encourageait dans les églises locales d’Amazonie, c’était une expérimentation à des fins d’extension mondiale que visait ce pape jésuite venu d’une Argentine travaillée par une théologie de la libération de facture néo-péroniste ?
Mais, à l’évidence, le pape François n’a pas été pleinement satisfait par la manière dont les choses ont évolué, brouillées en effet par un épiscopat allemand trop ecclésialement pressé et trop peu docile à la dynamique des groupes telle que voulue par le Vatican.
En revanche, bien plus positive à ses yeux aura été sa rencontre à Abu Dhabi avec Ahmad al-Tayyib, le Grand Imam de l’université al-Azhar, avec lequel il a signé dans ce pays, le 4 février 2019, le « Document sur la fraternité humaine pour la paix et la coexistence dans le monde ». À tel point, note Mattei, que la référence à ce dernier sera une de celles qui reviendra ensuite le plus souvent dans l’encyclique « Fratelli tutti » signée à Assise le 3 octobre 2020.
Mais, comment ne pas saisir que si le pape a hâte de marquer l’Église catholique de son empreinte, pour l’imam d’al-Azhar, fondamentalement, rien ne doit et ne peut changer dans la nature de l’islam et de son seul dogme, l’unicité d’Allah et la soumission à son « razoul » (envoyé, messager ou prophète) et à sa « charia » (loi). Roberto de Mattei observe que le pape François a rappelé dans Fratelli tutti la célèbre rencontre en Égypte entre saint François d’Assise et le sultan Malik al-Kamil. Mais, François Bergoglio ne prétendait-il pas réussir là où saint François d’Assise a échoué ?
Comment ne pas observer également la puissance de l’attraction qu’exerce sur lui, outre l’islam, l’autre grand totalitarisme de notre temps : le communisme ? Si bien que François se garde bien de reprendre à son propos l’expression de Pie XI : « Le communisme est intrinsèquement pervers » (Divini redemptoris). Non seulement il ignore cette immense perversion, non seulement il visite très aimablement Fidel Castro, mais il a naguère accepté sans réagir que son très proche Mgr Marcelo Sanchez Sorondo, argentin lui aussi et qu’il a nommé chancelier de l’Académie pontificale des sciences, puisse émettre la monstrueuse énormité selon laquelle : « En ce moment, ceux qui mettent le mieux en œuvre la doctrine sociale de l’Église, sont les Chinois ». Dans cette logique, on saisit avec Mattei pourquoi François n’a jamais évoqué les responsabilités de la Chine communiste lors de la pandémie de coronavirus. Pourtant, « s’il y a un pays où les droits de l’homme sont violés, écrit Mattei, c’est bien la Chine ». On pourrait préciser : « Les droits de l’homme sans Dieu » (DHSD) et ajouter « immensément violés ».
On lira bien sûr avec attention les lumineux propos de Mattei dans son article intitulé Traditionis custodes : une guerre au bord de l’abîme. Par ce motu proprio, François avait hélas tenu à rompre la ligne de son prédécesseur alors encore en vie et demeurant au Vatican. Mattei rappelle ici : « Devenu le pape Benoît XVI, celui qui, en tant que préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, avait toujours mis la liturgie au centre de ses préoccupations, promulgua le 7 juillet 2007, le motu proprio Summorum pontificum. Ce texte rendit son plein droit d’existence à l’ancien rite romain (malheureusement appelé « forme extraordinaire ») qui, juridiquement, n’avait jamais été abrogé mais s’était trouvé, de fait, interdit pendant quarante ans ».
On relira encore dans cet article les tristes lignes de François, d’une motivation à l’évidence idéologique, commentant l’enquête sociologique dont il avait chargé la Congrégation pour la doctrine de la Foi pour préparer son motu proprio. Mattei écrit : « La posture idéologique qui consiste à considérer a priori comme sectaires les groupes de fidèles liés à la Tradition liturgique de l’Église est évidente. On parle d’eux comme de séditieux qu’il faut surveiller sans critères de jugement , on limite le droit de s’associer et on empêche l’évêque de pouvoir approuver de nouvelles associations, en limitant ainsi le droit de l’ordinaire… ».
Quelques lignes plus loin, on appréciera les sages propos que tient Roberto de Mattei pour ses lecteurs en faveur de « l’unique résistance légitime… » et afin de mettre en garde contre ce qu’il appelle plaisamment des « fantaisies apocalyptiques » telles qu’on en trouve hélas chez des amateurs dans certaines mouvances intégristes…
Selon Mattei, « l’acte le meilleur et le plus important du pontificat de Benoît XVI fut le motu proprio « Summorum pontificum » du 7 juillet 2007, par lequel il donnait un libre droit de cité à l’antique rite romain qu’il proclamait inabrogeable ». Il ajoute : « Aujourd’hui, le pape François semble vouloir conclure son pontificat en démembrant pièce par pièce, le document de Benoît XVI ».
Étonnamment, parce qu’un pape mauvais sous bien des aspects, peut ne l’être pas totalement, et parce que la Divine Providence peut disposer bénéfiquement de lui, il faut constater avec Mattei que le pape François a accompli le 25 mars 2022, à Saint-Pierre, la consécration de la Russie et de l’Ukraine au cœur Immaculé de Marie, en union dans le monde entier avec des milliers d’évêques et de prêtres s’unissant aux paroles de la Consécration.
Mattei observe le phénomène de quasi-unanimité « pour reconnaître que la consécration a correspondu aux demandes faites par la Vierge aux trois pastoureaux de Fatima ». On lira avec beaucoup d’intérêts les commentaires complémentaires de l’auteur sur ces apparitions.
Hélas, c’est bien le même pape qui a traité avec une affligeante légèreté du procès mené à Hong-Kong par le régime communiste contre l’héroïque cardinal Joseph Zen. Ce dernier, devant l’abandon des catholiques fidèles à Rome, n’avait pas hésité à qualifier cela de « trahison ». Roberto de Mattei, dans la logique de ses réflexions sur les apparitions de Fatima, titre un de ses derniers articles reproduits dans ce livre : La Russie va-t-elle diffuser ses valeurs dans le monde ? Il s’agit, bien évidemment, d’un emploi ironique du terme « valeurs », de celles du régime actuel de la Russie ou plus exactement du régime dictatorial et de plus en plus totalitaire de monsieur Poutine. Mattei rappelle qu’à Fatima en 1917, la Vierge a parlé des erreurs que la Russie, si elle ne se convertit pas, « répandra à travers le monde ». Quelles sont ces erreurs ? Ce sont celles du communisme, « l’idéologie criminelle du XXe siècle » qui, comme le rappelait le grand Soljenitsyne « tuait avant que le nazisme ne tue, tuait pendant que le nazisme tuait, et tue toujours alors que le nazisme, mort, ne tue plus ». Mattei écrit donc à juste titre : « Ceux qui croient que la Russie répand dans le monde non pas ses erreurs mais ses valeurs inversent le message de Fatima ». Et d’observer que « ce renversement de perspective est évident dans le discours que le philosophe du régime de Poutine, Alexandre Douguine, a prononcé à Moscou le 27 octobre, lors du XXIVe conseil mondial du peuple russe, dont le patriarche de l’Église orthodoxe Kirill est le président ». On lira en effet plus avant dans l’article ce discours très révélateur et les justes commentaires qu’en fait Roberto de Mattei, avertissant d’une part combien « nous sommes confrontés à une philosophie déformée de l’histoire, qui confond l’Occident avec sa dégénérescence… ». Et d’autre part tout, ce que le monde doit à l’Occident, cet « espace géographique englobant l’Europe et les deux Amériques, qui a recueilli les valeurs de la Grèce et de Rome, en les vivifiant avec la foi catholique ».
Enfin, nous relèverons dans un des derniers chapitres, titré Le livre testament de Benoît XVI, les dernières lignes que voici : « Benoît XVI a raison lorsqu’il dit « qu’une société où Dieu est absent – une société qui ne le connaît plus et le traite comme s’il n’existait pas – est une société dans laquelle Dieu est absent de la sphère publique et pour laquelle il n’a plus rien à dire ». Mais Dieu n’est pas une relation, il est l’Être le plus parfait, et donc le Bien suprême et la Vérité infinie. Son nom propre est Être. Tout descend de Dieu et tout retourne à Lui, et Lui seul, l’Être par essence, peut résoudre la crise religieuse et morale de notre temps ».
Elles constitueront la conclusion de notre préface à cette très utile réédition des derniers articles de Roberto de Mattei, toujours dans la lumière de l’espérance. Qu’il en soit remercié.