Pape François, Fatima et la guerre en Ukraine

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Photo by Nacho Arteaga on Unsplash
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Nous reproduisons le texte d’une interview de Roberto de Mattei par Alessandro Rico, parue dans le quotidien italien « La Verità » du 25 avril 2022.

Après avoir rappelé que nul ne peut chanter victoire sur un monceau de ruines, le pape François a répété que la guerre détruit les vainqueurs aussi bien que les vaincus. Ce sont là les positions de l’école réaliste des relations internationales : la guerre peut être légitime, mais elle est « une forme d’échec moral », comme l’a écrit par exemple George Kennan.

Le pape n’a jamais été un pacifiste à la Tolstoï. A Léon Tolstoï, il a toujours préféré Fiodor Dostoïevski, un auteur qui montre l’aspect tragique de la réalité. Mon impression, toutefois, c’est que la guerre a définitivement détruit l’utopie de la fraternité humaine, exposée dans l’encyclique Fratelli tutti.

Vous voyez un changement de perspective ?

La guerre est comme la mort. C’est une partie inéluctable du destin de l’homme. L’idée d’une fraternité universelle est absente de l’Evangile et n’est pas une valeur chrétienne.

Pourtant le Christ nous a demandé de nous aimer les uns les autres.

C’est là une invitation à la charité surnaturelle qui a son fondement dans la grâce et dans la vérité. Le pape François a été plongé dans ce que j’appellerais un bain de réalisme tragique. Je pense qu’il vit le crépuscule de son pontificat.

Vraiment ?

Je ne fais pas référence à sa condition physique mais à l’échec d’un projet pastoral où il avait investi toute son énergie. La rencontre manquée avec le patriarche Cyrille est l’expression symbolique de cet échec.

En se dépensant activement pour une solution diplomatique du conflit en Ukraine, il a pourtant fait preuve de courage et d’autorité. A moins que vous ne pensiez qu’il ait montré de la complaisance envers les envahisseurs ?

Le chef de la diplomatie vaticane, le cardinal Pietro Parolin, a affirmé que le droit de défendre son peuple et son pays implique parfois aussi le funeste recours aux armes. Je crois que telle est aujourd’hui la position du pape.

Donc, pour l’Eglise, il existe des guerres justes ?

Absolument. Ce sont les guerres qu’on entame par nécessité, pour que Dieu nous délivre d’un état d’injustice et nous garde dans la paix. La guerre peut être « juste » si elle tend à une paix juste.

Quels sont les critères indiqués par le Magistère ?

Une guerre est licite quand elle est menée par une autorité légitime, pour se défendre d’une agression injuste et actuelle. Le Catéchisme de Jean-Paul II, au paragraphe 2309, établit ces conditions : a) tous les autres moyens pour mettre fin à l’agression doivent se révéler impraticables ou inefficaces ; b) l’agresseur ne doit pas subir plus de dommages que nécessaire ; c) la guerre défensive doit avoir une chance de succès et ne doit pas mettre en danger des biens supérieurs à ceux que l’on veut défendre.

La stratégie du pape est-elle conforme au Magistère ? Ou bien, comme certains l’avancent, découle-telle de son anti-américanisme instinctif ?

Avant d’être François, le pape fut le militant péroniste Jorge Mario Bergoglio ; sans nul doute, il est un adversaire de l’empire américain. Mais je ne vois pas trace d’anti-américanisme dans la position qu’il a prise actuellement.

La gauche, y compris atlantiste qui le considérait comme un allié semble déçue. 

En réalité, il y a un an au moins qu’un certain establishment progressiste a lâché le pape François : après que le synode sur l’Amazonie s’est conclu sans les résultats attendus (fin du célibat des prêtres et sacerdoce féminin). Peut-être la gauche avait-elle un peu trop vite fait de Bergoglio son leader mondial. C’est un fait qu’il n’a pas réalisé le projet de la gauche internationale.

A propos de l’Amérique : à plusieurs reprises les USA ont agi pour saboter le dialogue. 

Dans la paix, comme dans la guerre, toutes les puissances agissent pour leurs propres intérêts. La guerre en Ukraine est une proxy war, qui rappelle celle entre les USA et l’URSS dans la péninsule coréenne entre 1950 et 1953. A l’époque, les soviétiques utilisèrent les armées de la Corée du Nord et de la Chine maoïste au service de leur volonté d’expansion en Asie orientale. Dans le cas qui nous occupe, ce n’est pas la Russie qui utilise la Chine, mais la Chine qui cherche à tirer du conflit le plus grand avantage. Et c’est la Chine, et pas la Russie, selon moi, le véritable adversaire de la Maison Blanche.

François craint que le conflit régional en Ukraine ne soit le prélude à une confrontation entre USA et Russie. Est-ce « la troisième guerre mondiale par morceaux » dont le pape parle depuis 2014 ?

Ce qui se passe réalise exactement ce scénario. La « globalité » de la guerre ne réside pas tant dans l’intensité des combats ou dans le passage de la guerre conventionnelle à la guerre nucléaire, mais dans son extension mondiale. Il est en effet probable que de nouveaux fronts s’ouvrent dans le Caucase et le long de la ligne géopolitique eurasiatique, qui va de la Russie jusqu’en Chine.

Et l’Afrique ? Si le pain et les matières premières font défaut, on y meurt de faim, d’autres guerres éclatent et une nouvelle bombe migratoire s’amorce.

C’est évident. La dimension militaire risque de se conjuguer, plus que dans le passé, avec celle de la raréfaction de la nourriture.

Dans une interview au quotidien argentin La Nación, Bergolio a répondu à ceux qui lui reprochaient de n’avoir jamais condamné Vladimir Poutine : « Un pape ne nomme jamais un chef d’état ».

François a raison. Pie XI et Pie XII ont condamné le nazisme et le communisme mais n’ont jamais nommé directement Adolf Hitler ou Joseph Staline. Mais le pape a explicitement condamné l’agression subie par le peuple ukrainien et personne n’ignore l’auteur de l’agression. Et c’est bien le drapeau ukrainien qu’il a embrassé, il me semble, et pas le drapeau russe…

Et puis si l’objectif est d’arriver à une négociation, cela ne sert à rien de traiter le président russe de « porc », comme l’a fait Luigi Di Maio, n’est-ce pas ?

Des écarts comme celui du ministre Di Maio sont déplacés pour un homme politique et témoignent d’une immaturité certaine. Traiter Poutine de criminel ou de fou revient à croire que l’invasion de l’Ukraine est est le fruit d’un désordre mental.

Ce qu’elle n’est pas ?

La guerre de Poutine est un choix rationnel qu’il faut replacer dans une vaste géophilosophie de l’histoire. Le projet de Poutine n’est pas seulement de conquérir le Donbass ou l’Ukraine du sud, mais bien d’opposer à l’Occident qu’il considère comme intrinsèquement corrompu, sa vision post-stalinienne de la « Troisième Rome ». Il faudrait lire Alexandre Douguine et Ivan Ilyn pour le comprendre.

Etait-ce juste de faire parcourir la treizième station de la Via Crucis du vendredi saint par une Russe et une Ukrainienne ?

Je n’y ai rien vu de scandaleux. De plus, la station s’est déroulée en silence. Aucune parole inopportune n’a été prononcée.

A l’Est, tous, dans l’Eglise catholique, n’ont pas apprécié. Ici, en Occident, a-t-on un consensus unanime autour de la conduite de François ?

Il y a sûrement des lignes de faille, mais elles naissent d’une difficulté de comprendre l’action du pape. Il y a aussi des tentatives d’instrumentalisation.

Que pensez-vous, par exemple, du fait que l’ambassadeur ukrainien près le Saint Siège ait essayé de s’approprier le mérite de la renonciation du pape à sa rencontre avec Cyrille ? 

Andrii Yurash, le nouvel ambassadeur d’Ukraine près le Saint-Siège est orthodoxe, professeur d’université, expert des relations entre l’Etat et l’Eglise. Il accomplit sa mission de manière remarquable en servant, comme c’est naturel, les intérêts de son pays. Le pape et la diplomatie vaticane devraient avoir une vision universelle et transcendante des événements politiques de notre temps.

Ici, nous faisons profil bas : le Saint-Siège tiendrait-il pour moralement licite d’approuver certaines concessions territoriales et politiques à Poutine ?

Je ne crois pas que le Saint-Siège doive entrer dans ces détails. Ce que l’Eglise a le devoir de rappeler ce sont les critères de justice et de charité sur lesquels devraient se fonder les rapports entre les hommes en temps de paix comme en temps de guerre. Aujourd’hui, dans la paix comme pendant la guerre, les lois de la société civile sont violées. Comment peut on s’étonner des massacres contre les populations de l’Ukraine si on approuve le massacre systématique par cet homicide d’état que constitue l’avortement ?

Il y a eu d’autres très graves crises internationales au cours desquelles la papauté a offert une contribution décisive pour écarter le danger d’escalade : qu’il suffise de penser aux missiles de Cuba. François est-il appelé à une entreprise de ce genre ?

Benoît XV s’est impliqué intensément sur le plan diplomatique pour mettre fin à la première guerre mondiale qu’il voyait comme « un massacre inutile ». Malheureusement sans succès. Il est juste que l’Eglise essaie d’offrir sa contribution à la paix par la voie diplomatique. Mai il est plus important encore qu’elle indique, à travers son Magistère, les conditions pour construire une paix véritable.

Ce qui peut passer aussi par la consécration de la Russie et de l’Ukraine au Cœur Immaculé de Marie ?

Je rappelle que la Sainte Vierge, à Fatima, a demandé la consécration de la Russie à son Cœur Immaculé. Cette consécration a été refusée pendant plus d’un siècle. 

Vraiment?

François semblait le pape le moins indiqué pour accomplir cet acte. En particulier parce qu’il ne l’a pas fait quand il s’est rendu à Fatima les 12 et 13 mai 2017. Mais le 25 mars il a, de manière inattendue, exaucé la demande du message de Fatima.

Quel sens a ce geste ?

Il a une grande portée historique et il confirme que l’heure de l’accomplissement de la prophétie de Fatima s’approche.

Expliquez-vous.

A cause de l’endurcissement de l’humanité dans le péché, la Vierge annonce à Fatima que « des nations seront anéanties » : une prédiction terrible, même si elle est suspendue à une condition, puisque la conversion peut éviter ce châtiment. Mais ce qui n’a pas de condition et qui est irréversible, c’est la promesse de la Vierge.

C’est à dire ?

Le triomphe du Cœur Immaculé. Cette promesse doit remplir d’espérance le cœur de tout catholique.

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