Le directeur du quotidien italien “Il Foglio”, Giuliano Ferrara, a tout à fait raison quand il dénonce la calomnie que les médias entretiennent ces deniers jours (22 février 2013).
Désormais la thèse dominante dit que Benoît XVI s’est “rendu” face à une curie corrompue et ingouvernable, mais ce qui est insinué c’est que la morbidité sexuelle, le crime et l’intrigue font partie de la nature-même de l’Eglise romaine.
Cette offensive médiatique devrait retirer toute illusion de ceux qui croient encore possible pouvoir concilier l’église et les “pouvoirs forts” laïcistes qui cherchent actuellement à l’écraser. La réaction catholique devrait être virile et combattive et partir de l’acceptation de l’existence d’une crise de la foi dont l’évidente décadence morale des milieux ecclésiastiques est, à la fois, cause et conséquence. L’expression la plus récente de cette crise doctrinale est le consentement donné par la Conférence épiscopale allemande à la dite “pilule du lendemain” dans des cas extrêmes comme le viol.
Cette déclaration semble représenter la revanche symbolique de l’épiscopat centre-européen sur l’Humanae Vitae du 25 juillet 1968. L’encyclique de Paul VI, qui condamnait catégoriquement la contraception, fut ouvertement contestée par un groupe d’évêques “rhénans”, les mêmes qui avaient applaudit le cardinal Suenens quand, dans la salle du Concile Vatican II, le 29 octobre 1964, ce dernier avait revendiqué le contrôle des naissances, en prononçant d’un ton véhément, les mots : « Ne répétons pas le processus de Galilée ! »
Aujourd’hui les évêques allemands brandissent à nouveau et avec clameur un pavillon jamais baissé. L’ombre de Vatican II enveloppe du reste l’acte de renonciation de Benoit XVI, qui est tombé juste pendant la période des célébrations du cinquantième anniversaire du Concile. Ce n’est pas par hasard que le Pape, dans le dernier discours programmatique et rétrospectif au clergé de Rome, le 14 février dernier, considère que les origines de la crise religieuse sont à retrouver dans le “Concile virtuel” qui s’est superposé au Vatican II. Le Concile des médias, selon Benoit XVI, « était presqu’un Concile en soi, et le monde a perçu le Concile à travers eux, à travers les media. Donc le Concile immédiatement efficace qui est arrivé au peuple, a été celui des media, non celui des Pères » ; un Concile, a-t-il ajouté, « accessible à tous. Donc, c’était celui qui dominait, le plus efficace et il a créé tant de calamités, tant de problèmes, réellement tant de misères : séminaires fermés, couvents fermés, liturgie banalisée… et le vrai Concile a eu de la difficulté à se concrétiser, à se réaliser ; le Concile virtuel était plus fort que le Concile réel» .
A l’heure de la communication sociale, où ce qui est communiqué est vrai, le Concile virtuel n’a toutefois pas été moins réel que celui qui avait lieu à l’intérieur de la Basilique Saint-Pierre, d’autant plus que Vatican II avait voulu être un Concile pastoral, qui confiait son message aux nouveaux instruments de communication. Aujourd’hui plus qu’alors les médias sont capables non seulement de représenter la réalité mais de la déterminer grâce au pouvoir et à la force de suggestion qu’ils possèdent.
Le même Benoit XVI l’a beaucoup répété, en soulignant leur pouvoir de manipulation. Un geste historique, comme son acte de renonciation, qui est inévitablement destiné à être aussi un évènement médiatique. Quelle image autre que celle d’un homme et d’une institution privée de la force pour combattre le mal qui avance, peut-il transmettre ? Pourquoi s’étonner de l’utilisation du mot “reddition” ?
Face à cette évidence, les meilleurs catholiques n’admettent pas que la vraie raison de la renonciation soit celle exposée par le Pape avec ces mots désormais célèbres : «Dans le monde d’aujourd’hui, sujet à de rapides changements et agité par des questions de grande importance pour la vie de la foi, pour gouverner la barque de saint Pierre et annoncer l’Évangile, la vigueur du corps et de l’esprit est aussi nécessaire, vigueur qui, ces derniers mois, s’est amoindrie en moi d’une telle manière que je dois reconnaître mon incapacité à bien administrer le ministère qui m’a été confié».
Pour défendre le geste humble et courageux de Benoit XVI, on s’affaire à en rechercher les intentions cachées, et ainsi on renonce à examiner ce que pourraient en être les conséquences objectives. Selon certains, le Pape a voulu nous inviter à détourner notre regard myope de la temporalité du pouvoir ; d’autres ont pensé que le geste aurait été la monnaie d’échange d’un dernier acte retentissant de son pontificat, comme la réconciliation avec la Fraternité Saint Pie X. Il y en a même qui ont parlé d’une « retraite stratégique » dans le but d’aider le nouveau Pape à organiser “l’après Ratzinger”. Hormis quelques louables exceptions, comme celle de l’archevêque de Dijon, Roland Minnerath, qui a souligné l’importance des potentiels « dommages collatéraux » de cette décision, peu parmi les catholiques admettent qu’il puisse s’agir d’un geste destiné à affaiblir la Papauté, de telle sorte que nuire à la Papauté soit l’objective constatation de ce geste et de ses conséquences, et non le fait lui-même.
La Papauté en elle-même n’est naturellement pas touchée. Le Souverain Pontife, qui ne peut être destitué par personne, ni même par un Concile, a entièrement le droit de renoncer à sa mission. Quand il abdique il exerce un acte souverain qui n’enraye en rien son pouvoir suprême de juridiction. Le Pape reste, ontologiquement, l’unique législateur suprême de l’Eglise universelle. Il s’agit d’un dogme de foi. Les canons 331 et 333 du nouveau code de droit canon, définissent l’autorité du Pontife romain comme un pouvoir de gouvernement suprême, parce que nulle autorité ne l’égale et personne ne peut le juger ; plénier, car en ce qui concerne la foi et la morale il est un pouvoir illimité en extension et en intensité ; universel parce qu’il est étendu à chacun des évêques et à chacun des fidèles ; immédiat parce que le Pape peut exercer son droit d’intervention directe à n’importe quel moment, dans tous les domaines, sur n’importe quelle personne.
A ce pouvoir suprême de gouvernement s’ajoute celui de magistère qui comporte, à certaines conditions, le charisme de l’infaillibilité. Benoit XVI, bien qu’il jouisse de tous ces pouvoirs, n’a pas saisi l’opportunité de les exercer dans leur totalité. Par un acte libre et conscient, il a renoncé à exercer non seulement le pouvoir d’infaillibilité de son Magistère mais aussi le pouvoir suprême de gouvernement, jusqu’au point de remettre au Christ et à l’Eglise le munus qu’il avait accepté le 19 Avril 2005. Son pontificat est désormais inscrit dans l’Histoire.
Nous pouvons ajouter que si le successeur de Benoit XVI veut appliquer un programme “ratzingérien”, qui va des principes non négociables à l’exécution du motu proprio Summorum Pontificum, il devra le faire avec ces forces physiques et morales, c’est-à-dire avec cette énergie dont Benoit XVI s’est publiquement déclaré dépourvu, le 11 février 2013. Mais comment ne pas penser que la réalisation de ce programme provoque des attaques à l’Eglise encore plus violentes de la part des lobbies sécularistes ?
Si ensuite le nouvel élu renverse la ligne directrice du gouvernement ratzingérien, pour s’aventurer dans les sables mouvants de l’hétérodoxie, dans l’illusion de domestiquer le monde, comment ne pas imaginer que cela provoque une réaction chez les défenseurs de la Tradition ? Les mots persécution, schisme et hérésie ont accompagné l’Eglise depuis deux-mille ans d’histoire. Si quelqu’un aujourd’hui ne veut pas en entendre parler, c’est parce qu’il a renoncé à se battre. Pourtant la guerre est bien là. (Roberto de Mattei)