Nous sommes tous impatients de faire la découverte d’un vaccin contre le COVID-19 dans les plus brefs délais. Au moins certains d’entre nous, cependant, sont encore plus inquiets à l’idée que le seul vaccin qui nous sera finalement proposé (ou imposé?) soit un vaccin lié à l’avortement. Les problèmes éthiques posés par la recherche, la production, la commercialisation et l’utilisation des vaccins ne sont pas nouveaux. Pour certains vaccins contre le COVID-19 en voie de développement, l’ONG Children of God for Life (la principale organisation « pro-vie » sur le thème des vaccins, basée en Floride et dirigée par Debi Vinnedge) a déjà sonné l’alarme: le vaccin en cours de développement par la société pharmaceutique Moderna (ARNm-1273) et celui de Johnson & Johnson (qui est le bénéficiaire de fonds publics pour sa recherche contre le COVID-19) utilisent des lignées cellulaires de bébés avortés. Tout cela contraste fortement avec d’autres vaccins en préparation, tels que ceux de Sanofi Pasteur et d’AVM Biotechnology, qui n’utilisent pas de lignées cellulaires issues d’avortements.
Mais que voulons-nous dire exactement quand nous parlons de lignées cellulaires issues d’avortements? Angel Rodríguez Luño l’explique dans un article de 2006: « Des vaccins utilisés à grande échelle contre des maladies telles que la rubéole, l’hépatite A et la varicelle, ont été développés avec des souches virales obtenues à partir de fœtus humains avortés volontairement […] et/ou ont été élaborés en atténuant le virus par des passages successifs dans des cultures de fibroblastes diploïdes humains […] à partir d’avortements volontaires ». La liste de ces «cultures», avec la spécification du sexe et de la période de gestation des bébés tués par avortement dont les cellules ont ensuite été utilisées, est disponible sur le site de Children of God for Life, ainsi qu’une liste, régulièrement mise à jour, des vaccins liés à l’avortement et leurs alternatives éthiques, lorsqu’elles existent.
On pourrait cependant affirmer que soulever des problèmes moraux sur ces vaccins de nos jours, des décennies après les avortements qui ont été à l’origine de leur développement, serait jugé inopportun. De plus, n’est-il pas vrai que les vaccins ainsi obtenus ont fait et continuent de faire du bien à leurs nombreux bénéficiaires? Eh bien, il convient d’abord de se demander si les choses sont vraiment telles qu’elles le paraissent. Au terme d’une analyse très détaillée, Debi Vinnedge a conclu que (a) les « cultures » ne sont pas immortelles, et donc du nouveau matériel biologique est requis de nouveaux avortements pour créer de nouveaux vaccins, (b) l’utilisation de ces vaccins finit par être une incitation à la recherche basée sur la destruction des fœtus et des embryons, et (c) le vaccin contre la polio, pour ne donner qu’un exemple, est devenu un instrument utilisé dans le but de lutter contre les restrictions imposées à cette recherche immorale. Mais, même en admettant la validité des prémisses sur lesquelles se basent les deux objections susmentionnées, la première (celle basée sur les décennies écoulées après les avortements) équivaudrait à dire qu’après plusieurs passages de main en main un faux billet de banque deviendrait un vrai billet. La seconde objection (celle justifiant l’utilisation de ces vaccins par les bénéfices qu’ils produisent) n’est qu’un dérivé de l’adage irrecevable selon lequel la fin justifie les moyens.
En fin de compte, le problème demeure. En philosophie et en théologie morale, cela est connu comme le problème de la « coopération au mal ». Appliqué à la question des vaccins, le problème a été résumé dans une déclaration adoptée par l’Académie pontificale pour la vie en 2005, en réponse à une question posée par Debi Vinnedge. Dans ce document, le problème de la coopération a été à juste titre appliqué à trois catégories différentes de sujets: « a) ceux qui développent des vaccins en utilisant des lignées cellulaires à partir d’avortements volontaires; b) ceux qui participent à la commercialisation de ces vaccins; c) ceux qui ont besoin de les utiliser pour des raisons de santé ». La moralité de toute coopération formelle (c’est-à-dire en partageant l’intention de procéder à un avortement) était évidemment exclue de ces trois catégories de personnes. Quant à la coopération matérielle, la préparation, la distribution et commercialisation de ces vaccins ont été jugées moralement illicites en principe (admettant ainsi la possibilité de responsabilités différenciées entre les différents agents coopérants), car une telle coopération pourrait contribuer à promouvoir l’avortement. Est jugée également illicite la coopération matérielle passive des fabricants de ces vaccins, s’ils sont « coupables de ne pas dénoncer et rejeter publiquement l’acte immoral d’avortement volontaire et de ne pas s’engager dans des formes alternatives moralement licites ». (À cet égard, Debi Vinnedge a précisé que, pour certains vaccins liés à l’avortement, des formes alternatives qui étaient produites et commercialisées dans le passé ont été ensuite écartées pour des raisons qui n’avaient rien à voir avec l’efficacité ou l’innocuité des vaccins jugés éthiques).
Quant à la coopération matérielle des utilisateurs de ces vaccins, cette dernière a été jugée bien plus faible que celle « des autorités et systèmes de santé nationaux » qui acceptent l’utilisation des vaccins. Pour les vaccins sans alternatives jugées éthiques, le document de 2005 précise « qu’il est juste de s’abstenir d’utiliser ces vaccins si cela peut être fait sans que les enfants, et indirectement la population dans son ensemble, ne subissent des risques importants pour leur santé », mais ceux-ci peuvent être utilisés de manière temporaire, s’il existe des dangers considérables pour leur santé. Dans le même temps, le document appelait « les fidèles et citoyens de bonne conscience (pères de famille, médecins, etc.) à s’opposer, même par objection de conscience, aux attaques de plus en plus répandues contre la vie et la promotion de la ‘culture de la mort’ ». D’où le « devoir impérieux » de recourir à des vaccins alternatifs lorsqu’ils existent et, pour les vaccins sans alternatives jugées éthiques, le devoir d’exercer une pression visant à favoriser le développement de vaccins éthiques.
Dans ce même esprit, en appelant les catholiques et tous les hommes et femmes de bonne volonté à se faire entendre pour que les vaccins soient produits de manière éthique, Mgr. Strickland, évêque de Tyler près de Dallas au Texas, ne pouvait être plus éloquent dans son tweet publié en pleine crise liée au COVID-19: « Il est bien triste que, même face au COVID-19, nous débattions encore de l’utilisation de matériel biologique issu d’avortement pour la recherche médicale. Que ma position soit claire: si un vaccin contre ce virus ne peut être obtenu qu’en utilisant des membres d’enfants avortés, je le refuserais. Je ne tuerais pas d’enfants pour pouvoir vivre ». Et sa voix n’est pas restée isolée. Le 17 avril 2020, quatre archevêques et évêques, en leur qualité de présidents de comités et d’un sous-comité de la Conférence épiscopale américaine, ainsi que des représentants (pas tous catholiques) de diverses organisations, ont signé une lettre (qui a également été envoyée au Président Trump) soulignant qu’il est « d’une importance cruciale que les américains aient accès à un vaccin produit de manière éthique: aucun américain ne devrait être contraint de choisir entre se faire vacciner contre ce virus potentiellement mortel et violer sa conscience ».
En d’autres termes: un vaccin contre le COVID-19? Certainement et espérons-le bientôt. Un vaccin à tout prix? Certainement pas. Comme en toutes choses, il existe des voies morales à suivre et des voies immorales à rejeter. Merci pour votre témoignage courageux, Mgr. Strickland, et merci pour votre ferme rappel, signataires de la lettre du 17 avril! (Maurizio Ragazzi)