Vivre sans mensonge est le titre d’un célèbre appel d’Alexandre Soljenitsyne, paru en 1973, au lendemain de son attestation par le KGB. Le dissident russe dénonçait dans cet écrit l’Archipel du Goulag, basé sur le crime et le mensonge, en appelant à le combattre avec l’arme invincible de la vérité. La vérité triomphe toujours lorsqu’elle parvient à s’exprimer ouvertement. Le mensonge prévaut seulement s’il réussit à étouffer la vérité et il a besoin pour cela de la manipulation des esprits et des consciences. Si hier le communisme imposait le mensonge avec la violence, aujourd’hui le relativisme occidental l’alimente et la soutient au travers d’un système élaboré de mass-médias, contrôlé par des lobbys idéologiques et financiers.
Une toile de mensonges enveloppe et étouffe le monde aujourd’hui. Rien qu’à considérer la fraude colossale de l’évolutionnisme, inculqué dès les salles de classe, bien qu’aucun scientifique sérieux n’y apporte de crédit. Un mensonge tout aussi énorme est celui de l’Euro, défendu à outrance par tous les gouvernements européens, malgré les désastres qu’il a provoqués. Et les mensonges du monde ecclésiastique ne sont pas moins graves, à commencer par la dogmatisation du Concile Vatican II, présenté comme la “nouvelle Pentecôte” de la vie l’Eglise, alors qu’il fut suivi, dans les cinquante dernières années, d’une crise religieuse dévastatrice.
Le mensonge s’affirme quand on cesse de prêcher la vérité. Mais la question de Pilate résonne encore dans la société relativiste : « Qu’est-ce que la Vérité ? » (Jn 18, 38). La réponse, hier comme aujourd’hui, est unique : la vérité est Dieu, en-dehors duquel tout est erreur et mensonge. Dieu est la vérité par essence, parce que de Lui provient toute connaissance vraie, mais aussi parce que, en tant que Créateur de l’univers, il est en toute chose la source de la vérité. Toute créature a reçu de Dieu la vérité de son être, et le fait de connaître n’est autre que la conformité du jugement de l’esprit à la vérité objective du réel. Notre jugement peut être vrai ou faux, affirme Josef Pieper, mais les choses sont toujours et seulement vraies, jamais fausses. Soit l’idée que j’ai de la réalité lui est conforme, soit je contrains la réalité à se plier à l’idée que je m’en fais. C’est ce qu’ont fait les totalitarismes du XXème siècle : ils ont voulu obliger la réalité de l’homme à se modeler sur leurs idéologies déformées. Le résultat a été catastrophique pour l’humanité entière.
Jésus-Christ, Verbe divin, est en tant que Dieu la vérité pleine et absolue. Il apporta sur la terre la vérité du Ciel. « Je suis né et je suis venu dans le monde – dit-il à Pilate – pour rendre témoignage à la Vérité » (Jn 18, 37). La vérité dont Jésus-Christ témoigne et qu’Il annonce est la parole de Dieu, qui est transmise par deux voies : la Sainte Écriture et la Tradition de l’Église. Cette vérité n’est pas d’origine humaine mais divine ; c’est pourquoi le Seigneur dit : « Quiconque est de la vérité écoute ma voix » (Jn 18, 37).
Jésus a dit de Lui : « Je suis la Voie, la Vérité, la Vie » (Jn 14, 6). L’Eglise catholique, apostolique et romaine, instituée par Lui, est la seule, comme son fondateur, à conduire à la vérité et à travers la vérité, à donner à ses fidèles la vie éternelle. Dans l’encyclique Humanum Genus du 20 avril 1884, Léon XIII présente le champ de bataille de l’humanité en deux camps différents et ennemis l’un de l’autre : « l’un combat sans trêve pour le triomphe de la vérité et du bien, l’autre pour le triomphe du mal et de l’erreur ». Le premier est le règne de Dieu sur terre, à savoir la véritable Église de Jésus-Christ, le second est le régne de Satan. Ces deux règnes, semblables à deux cités qui conduisent par des lois opposées à des fins opposées, ont, selon saint Augustin, leur principe d’origine dans deux amours : l’amour de soi jusqu’au mépris de Dieu et l’amour de Dieu jusqu’au mépris de soi (De Civitate Dei, lib. XIV, c. 17).
Ceux qui suivent le mal n’usent pas seulement de la persécution, mais aussi de l’art infernal de la séduction. Pour éloigner les hommes de la vérité, le démon leur laisse croire qu’il est possible de la concilier avec les valeurs du monde, telles que les richesses et le pouvoir, en renonçant à la professer avec un amour intransigeant et exclusif. C’est ce qui arrivera à la fin du monde quand, à cause de leur infidélité et de leurs péchés, Dieu permettra que beaucoup soit conquis par des erreurs séduisantes (Mt 24, 24). Dans la deuxième lettre aux Thessaloniciens, saint Paul écrit que dans les derniers temps beaucoup se perdront « pour ne pas avoir accepter l’amour de la vérité qui les aurait sauvés » (II Tess. 2, 10). Dans cette même lettre l’apôtre avertit : « Ainsi donc, frères, demeurez fermes et gardez les enseignements que vous avez reçus, soit de vive voix, soit par notre lettre » (2, 15).
Le relativisme est la philosophie de vie de celui qui se comporte comme si il n’existait aucune vérité ou principe absolu. Le critère de jugement et d’action réside dans les opinions, les intérêts, les désirs, et en dernière analyse dans la volonté de l’individu. Sous cet aspect, le relativisme n’est pas l’opposition à une vérité déterminée, mais la négation, par principe ou de fait, de l’idée même de vérité et en ce sens il est un athéisme radical. Mais la vérité est niée également par le pragmatisme, l’attitude de celui qui, sans nier pour autant la vérité, la cherche dans les résultats de son action. A la vérité contemplée se substitue la vérité pratiquée, conçue en fonction de son efficacité et de son succès.
Et même les hommes d’Église, qui devraient être les vecteurs par excellence de la vérité, semblent avoir abandonné leur mission d’annoncer la vérité dans son intégrité et sa pureté. Beaucoup d’entre eux se préoccupent davantage de l’issue pratique de l’annonce de la vérité plus que de la vérité elle-même qu’ils devraient annoncer. Les droits non négociables de la vérité se plient aux exigences changeantes de l’homme contemporain. Dieu est imperceptiblement supprimé. Le centre de gravité est déplacé. La religion de Dieu devient la religion de l’humanité.
Et pourtant, dans l’encyclique Mit brennender Sorge du 14 mars 1937 par laquelle il condamnait le national socialisme, Pie XI affirme que « le premier et le plus important don d’amour du prêtre au monde est de servir la vérité, la vérité toute entière, de démasquer et de réfuter l’erreur, quels que soient sa forme et son déguisement. Renoncer à cela serait non seulement une trahison envers Dieu et votre sainte vocation, mais un délit au regard du vrai bien-être de votre peuple et de votre patrie ».
La vérité, qui est Dieu, se doit d’être servie indépendamment des conséquences qu’elle peut avoir sur nous, ou de façon plus générale pour la société, sur le plan politique, économique et religieux. Celui qui aime la vérité doit être prêt à aller contre ses intérêts propres, à souffrir et si c’est nécessaire à perdre la vie pour en témoigner. Nous devons professer et vivre intégralement la vérité de l’Évangile. Vivre sans mensonge signifie vivre dans la vérité. Vivre dans la vérité veut dire appliquer tous ses efforts à la connaître et à l’aimer.
L’amour pour la vérité est l’amour de Dieu et pour aimer Dieu, il faut aimer et observer sa loi toute entière. Dans la lutte et dans la défense de la loi divine et naturelle se manifeste non seulement notre amour de Dieu, mais aussi notre amour du prochain qui a besoin d’être aidé par le pain de la vérité. C’est cela la bienfaisance la plus précieuse que nous puissions opérer. Apporter la vérité au prochain signifie en fait lui apporter Jésus-Christ. C’est Lui qui donne à travers nous, mais c’est Lui aussi qui reçoit : « En vérité je vous le dis, chaque fois que vous aurez fait cela aux plus petits d’entre les miens, c’est à moi que vous l’aurez fait » (Mt. 25, 49). (Roberto de Mattei)